Achat du logiciel espion Pegasus : la Pologne sur la sellette

La Pologne a admis avoir acheté le logiciel espion Pegasus. Surveillance de l’opposition ou simple moyen de combattre la criminalité, le gouvernement se confond en explications tandis que les preuves s’accumulent.

 

Le vendredi 7 janvier 2022, le premier ministre polonais Jaroslaw Kaczynski lui-même finit par avouer. La Pologne s’est procuré le fameux logiciel espion Pegasus. Installé sur n’importe quel téléphone, il peut en exfiltrer les données et espionner son utilisateur sans risque d’être démasqué.

Le gouvernement, sommé de se justifier, affirme que l’achat du logiciel n’est pas destiné à espionner l’opposition, mais seulement à prévenir la criminalité. Le laboratoire Citizen Lab, qui a enquêté sur les potentielles cibles de Pegasus, révèle pourtant que Krzysztof Brejza, sénateur de ladite opposition, a été surveillé en 2019 au moment des élections législatives, qu’il a perdu. Son parti Plate forme civile (PO), placé à droite sur l’échiquier politique, est persuadé qu’il y a un lien. Pourtant, le vice premier ministre a déclaré qu’il « serait mauvais que les services polonais ne disposent pas de ce type d’outil ». Dans l’entretien, il justifie cet achat. Le logiciel, est, semble-t-il, « utilisé par les services de lutte contre la criminalité et la corruption dans de nombreux pays ». Et que l’utilisation qu’en fait le gouvernement est contrôlée et mesurée, « toujours sous le contrôle d’un tribunal et du bureau du procureur ».

Les révélations du vice premier ministre ne sont que « la pointe de l’iceberg » révélant un « glissement autoritaire » en Pologne, scandent les opposants.

Donald Tusk, président du parti de l’opposition, qualifie cette révélation de « la plus grande, la plus profonde crise pour la démocratie depuis 1989 », puisque que c’est l’argent public qui a vraisemblablement permis à la Pologne d’acquérir le logiciel, à hauteur de 5 millions d’euros. D’abord nié par le gouvernement, une facture retrouvée par le président de la Cour des comptes confirme les dires.

Un logiciel espion dangereux

Le logiciel Pegasus est très performant. Une fois installé sur votre téléphone, il peut voir vos vidéos et vos photos, vous géolocaliser et vous mettre sur écoute. 17 médias dont Le Monde, ont révélé fin août 2021, que plus de 50 000 numéros sont susceptibles d’être surveillés par Pegasus. Et pas des numéros lambda, Édouard Philippe et Emmanuel Macron sont sur la liste potentielle.

Le logiciel est développé par NSO Group, une start-up israélienne, placée depuis sur la liste noire des entreprises par les États-Unis. Pegasus a été acheté par pas moins de 60 pays, dont le Mexique et le Maroc. La France s’était déjà questionnée sur le sujet mais n’a pour le moment pas cédé.

Climat de crise politique en Pologne

Déjà pointée du doigt par Bruxelles dans ses atteintes aux libertés et droits fondamentaux, Varsovie est en mauvaise posture, alors que l’Allemagne et l’Espagne, qui se sont aussi procuré le logiciel, n’ont pour l’instant subi aucune remontrance.

L’espionnage et l’intrusion dans la vie privée viole totalement les traités européens. Et étant membre de l’Union Européenne, la Pologne doit justement respecter les traités.

Le pays est dans le collimateur des autorités européennes depuis des années. Tensions à sa frontière avec la Biélorussie, homophobie non sanctionnée, avortement interdit, primauté du droit national sur le droit européen, la liste est longue.

Cet aveu ne conforte pas la position de la Pologne dans les relations internationales, d’autant plus qu’il fragilise le pouvoir. Le gouvernement s’attire aussi les foudres de Berlin en déclarant que l’Allemagne veut faire de l’Union Européenne le quatrième Reich. Le pays adopte des mesures pour renier en quelque sorte le droit européen. La situation se dégrade peu à peu. Les prochains mois seront cruciaux pour déterminer l’avenir du pays au sein de l’Union Européenne. Il en est un acteur majeur mais en même temps contesté.