L’industrie française, pilier de la souveraineté économique et de la compétitivité nationale, fait face à des ingérences étrangères multiformes. Celles-ci, qu’il s’agisse d’espionnage industriel, de déstabilisation via des organisations non gouvernementales (ONG), de cyberattaques ou encore d’actions menées par des fonds activistes, compromettent la résilience du tissu industriel.
L’interconnexion des économies expose les industries nationales à des risques croissants. La France, riche d’un écosystème industriel diversifié – allant des industries stratégiques comme la défense (Dassault Aviation, Naval Group) aux secteurs de la consommation courante tels que l’électroménager (SEB) ou l’automobile (Stellantis, Renault) – est confrontée à des ingérences multiformes menaçant son intégrité économique. Ces menaces poursuivent souvent un objectif commun : fragiliser les capacités de production et d’innovation nationales pour assurer une domination concurrentielle étrangère.
La problématique posée est centrale pour l’avenir de la France et son économie : dans quelle mesure les ingérences étrangères compromettent-elles l’autonomie et la résilience de l’industrie française ?
Quelles formes prend l’ingérence économique en France ?
Espionnage industriel : une menace omniprésente
L’espionnage industriel constitue l’une des formes les plus manifestes d’ingérence. Il consiste en l’acquisition illégale d’informations stratégiques – brevets, procédés ou données sensibles. Selon l’ANSSI (2023), 25 % des entreprises françaises dans les secteurs de pointe, notamment l’aéronautique et la défense, déclarent avoir été victimes d’une tentative de cyberespionnage. Les impacts économiques se chiffrent en milliards : la perte estimée pour Airbus dans des affaires d’espionnage dépasse 2 milliards d’euros, affaiblissant sa compétitivité face à Boeing.
Les industries émergentes, telles que la filière hydrogène, ne sont pas épargnées. Des fuites d’informations sur des procédés de production ont retardé le développement de prototypes en France, permettant à des acteurs étrangers (notamment asiatiques) de se positionner en leaders.
Les cyberattaques : un levier de déstabilisation de plus en plus utilisé
En 2024, les cyberattaques dirigées contre les infrastructures industrielles ont connu une hausse de 35 %. La plupart de ces incidents visent des systèmes critiques dans l’énergie (ENGIE, EDF) et les technologies numériques. Les estimations du Forum économique mondial situent le coût moyen d’une cyberattaque majeure à 3,5 millions d’euros par entreprise, hors atteinte à la réputation et perturbations opérationnelles.
Un cas exemplaire concerne un groupe du secteur électroménager dont le réseau de production a été paralysé pendant trois semaines en 2023, entraînant une perte sèche de 20 millions d’euros et un retard dans la livraison de produits.
Influence et déstabilisation par des ONG et cabinets d’avocats
Des organisations non gouvernementales et des cabinets juridiques orchestrent des campagnes visant à fragiliser des projets industriels stratégiques. Par exemple, des actions menées contre des contrats d’exportation d’armement français – comme les négociations sur les Rafale avec l’Inde – ont considérablement ralenti ces projets.
Dans le secteur automobile, la pression exercée sur la chaîne de production de batteries électriques par des ONG environnementales a conduit à des restrictions réglementaires favorisant des concurrents étrangers.
Fonds activistes : la menace arrive en Bourse
Les fonds activistes représentent une autre menace insidieuse : ils prennent des participations dans des entreprises pour en influencer la stratégie. En France, 12 % des entreprises du CAC 40 sont exposées à ces pratiques. Engie, notamment, a dénoncé des tentatives de manipulation ayant pour objectif de déstabiliser sa gouvernance, mettant en lumière les dérives de ces pratiques financières agressives.
Quelles sont les conséquences des ingérences étrangères sur l’économie française ?
Érosion de la compétitivité industrielle
Les effets des ingérences se traduisent par une perte de compétitivité pour les entreprises ciblées, et donc par là-même pour l’économie de l’Hexagone. C’est notamment le cas avec le vol de données industrielles qui réduit l’avantage concurrentiel des entreprises françaises. Selon l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), les fuites de technologies critiques auraient coûté environ 1,2 % du PIB industriel en 2023.
La concurrence étrangère, dopée par l’accès illégal à des innovations françaises, prend des parts de marché. Un exemple ? Le retard accumulé par la filière française des semi-conducteurs a permis aux acteurs asiatiques de renforcer leur domination.
Atteinte à la souveraineté économique et stratégique
La dépendance technologique est un enjeu sous-estimé malgré son importance. Environ 40 % des entreprises françaises dépendent de technologies ou de composants critiques importés, principalement en provenance de Chine ou des États-Unis. Cette dépendance affaiblit la résilience nationale, rendant l’économie française vulnérable à des pressions externes comme des sanctions économiques ou encore des taxes.
Les ingérences économiques ne se limitent par ailleurs pas aux grandes entreprises comme on pourrait le penser. Elles affectent également les TPE, PME et ETI, qui constituent le cœur du tissu industriel français. La délocalisation forcée de certaines productions, induite par des pertes de compétitivité, a un impact direct sur les territoires : selon un rapport du Sénat, environ 100 000 emplois seraient menacés dans les cinq prochaines années.
Vers une défense proactive de l’industrie française
Renforcer la protection des entreprises
Le contrôle des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques s’est intensifié depuis 2020. En 2024, 17 projets d’acquisition ont été bloqués par le gouvernement, un record. Toutefois, une meilleure coordination européenne reste nécessaire pour éviter les failles réglementaires.
La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a renforcé ses capacités de surveillance des entreprises vulnérables. Des partenariats public-privé permettent désormais une gestion plus efficace des menaces, comme en témoigne la mise en place de cellules de crise dans 80 % des grandes entreprises.
Investissements dans la souveraineté technologique
Pour réduire la dépendance, le gouvernement a augmenté de 18 % le budget consacré à la recherche et développement industriel. Dans le secteur des batteries électriques, 1,2 milliard d’euros a été alloué pour soutenir l’innovation nationale.
Les ingérences étrangères représentent une menace protéiforme pour l’industrie française. Elles affaiblissent sa compétitivité, érodent sa souveraineté économique et exacerbent les disparités sociales et territoriales. Pourtant, les réponses nationales et européennes se multiplient, avec un focus croissant sur la souveraineté technologique et le renforcement des capacités de défense économique. La vigilance demeure essentielle pour protéger un secteur clé de la puissance française et européenne dans un environnement géopolitique de plus en plus conflictuel.