Vendredi 11 décembre était inaugurée place Saint-Pierre la traditionnelle crèche de Noël. Traditionnelle ? Cela se discute. Faite de personnages raides et impassibles, l’installation géante dégage une certaine froideur peu propice à l’émotion.

D’ha­bi­tude, dans la crèche, Marie et Joseph à genoux se penchent ten­dre­ment sur l’En­fant Jésus. Cela fait par­tie des codes impli­cites indis­pen­sables. Cette repré­sen­ta­tion aurait-elle vécu ? Le Covid serait-il pas­sé par-là au point d’im­po­ser une rigi­di­té totale à des figu­rines trans­for­mées en colonnes, comme le fut Seth en sta­tue de sel ? La crèche aurait-elle pris acte de la très pénible res­tric­tion infli­gée à nos rela­tions sociales les plus élé­men­taires ? En tout cas, les per­son­nages sont droits, cylin­driques, réa­li­sés par mon­tage de modules annu­laires en céra­mique. Leur pos­ture n’est pas un acci­dent. La super­po­si­tion des modules empêche toute cour­bure des sil­houettes, d’où cette rai­deur à laquelle on n’est pas habi­tué, comme si les acteurs de cette scène fon­da­trice de l’ère moderne ne mani­fes­taient que de l’indif­fé­rence les uns pour les autres.

Émotion, es-tu là ?

Ce qui laisse per­plexe, c’est l’absence d’é­mo­tion. S’a­git-il d’une opi­nion ? Peut-être. On vous laisse juge. Dans la plu­part des églises, les catho­liques aiment à contem­pler des sta­tues fine­ment sculp­tées : le cou­rage de Jeanne d’Arc, la pié­té du curé d’Ars, la ten­dresse de Marie, la force, la dou­ceur ou la souf­france de Jésus sont autant d’invi­ta­tions à la prière. Pour les san­tons, c’est un peu la même chose. Cette tra­di­tion récente per­met aux fidèles de créer leur propre crèche de Noël. Quoique petits, les san­tons pré­sentent des visages mul­tiples, pieux, ravis ou beso­gneux. Bref, ils expriment une émo­tion et en cela, ils touchent le cœur des gens. La crèche n’a d’ailleurs aucun autre but que celui-ci : pro­vo­quer une émotion.

Innovation et tradition ne s’opposent pas

Depuis quelque temps, le Vati­can pro­fite de la crèche de Noël pour mettre à l’hon­neur dif­fé­rents savoir-faire. L’an der­nier, la crèche accueillait des per­son­nages entiè­re­ment en bois, tra­vaillés selon la tra­di­tion du Tren­tin, pro­vince sinis­trée par des orages. En 2018, le Vati­can dévoi­lait une crèche en sable, ins­pi­rée des tra­di­tion­nelles sculp­tures de Jeso­lo (Véné­tie). L’an­née pré­cé­dente, Naples était à l’hon­neur. Des enfants atteints du can­cer ou ori­gi­naires de régions frap­pées par les séismes l’a­vaient déco­rée. Cette année, la crèche du Vati­can vient de Cas­tel­li, vil­lage des Abruzzes (centre de l’I­ta­lie) spé­cia­li­sé dans la céra­mique. La fac­ture contem­po­raine fait réfé­rence à des arts plus anciens. Aus­si l’in­no­va­tion ne s’op­pose-t-elle pas à la tra­di­tion : elle l’en­ri­chit, l’ac­tua­lise, la rend vivante. La ques­tion n’est pas là. La vraie ques­tion, c’est : la crèche trans­met-elle une émo­tion où le natu­rel, dans sa sim­pli­ci­té, se mêle au sur­na­tu­rel, dans sa limpidité ?