Depuis cinq ans, sous l’impulsion de l’ONU, le 9 décembre est la journée internationale de commémoration des victimes du crime de génocide. L’occasion de parler de la seconde guerre du Haut-Karabagh, territoire peuplé à 95 % d’Arméniens et que revendiquait l’Azerbaïdjan. Il y a un mois, les forces d’Erevan était battues par leurs rivales azéries au point que Bakou qualifia cette défaite de “capitulation”. Depuis le 10 novembre, Moscou impose un cessez-le feu dans la région.

« Cha­cun ne meurt qu’une fois, mais heu­reux qui se sacri­fie pour libé­rer sa nation. » L’hymne natio­nal d’Ar­mé­nie résonne dou­lou­reu­se­ment. Le conflit du Haut-Kara­bagh fait revivre à ce petit pays du Cau­case, pre­mière nation chré­tienne, des épi­sodes tragiques.

Le 10 novembre, un accord est conclu entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, avec l’appui tuté­laire du pré­sident russe Vla­di­mir Pou­tine. Cet accord met fin à un conflit armé enta­mé le 27 sep­tembre. L’enjeu des com­bats : le ter­ri­toire de la Répu­blique auto-pro­cla­mée du Haut-Kara­bagh. L’accord favo­rise l’Azerbaïdjan, le vain­queur mili­taire du conflit. Les popu­la­tions locales, dure­ment tou­chées, sont condam­nées à l’exil.

« Je ne peux pas laisser ma maison aux Turcs »

Cet épi­sode n’est pas sans rap­pe­ler le géno­cide vécu en 1916. En pleine guerre mon­diale, les natio­na­listes turcs firent périr 1,3 mil­lion d’Ar­mé­niens. De nom­breuses autres vic­times furent ven­dues comme esclaves, abu­sées sexuel­le­ment ou muti­lées. Si cet évé­ne­ment est sans com­mune mesure avec la guerre du Haut-Kara­bagh, un paral­lèle peut  s’avérer utile :

Tout d’abord, en cet automne meur­trier, on retrouve la volon­té d’exterminer. 4000 tués, dont la moi­tié de civils, et 8000 bles­sés. Mais les consé­quences les plus durables, c’est le rem­pla­ce­ment de la popu­la­tion. Des Armé­niens incen­dient leurs propres mai­sons. L’un d’eux explique : « Je ne peux pas la lais­ser aux Turcs. »

Et il pour­suit : « On a aus­si bou­gé la tombe des parents, les Azer­baïd­ja­nais vont se faire un malin plai­sir à pro­fa­ner nos tombes, c’est insup­por­table. » Beau­coup d’Ar­mé­niens retournent sur leurs terres mais d’autres, crai­gnant d’être mar­gi­na­li­sés voire humi­liés, refusent. Ils se retrouvent dans un ter­ri­toire deve­nu azer­baid­ja­nais, avec toutes les incer­ti­tudes que cela sou­lève. Une mère de 3 enfants dit ain­si : « Je ne veux pas recons­truire une mai­son, si c’est pour qu’une autre guerre éclate et que nous devions tout quit­ter à nou­veau. » Les rela­tions entre les habi­tants de ces zones dis­pu­tées risquent de se tendre, avec une coha­bi­ta­tion qui reste à inven­ter.

Peu de soutien international

Pas plus que la Tur­quie en 1916, l’Azerbaïdjan en 2020 n’a d’égards pour les popu­la­tions vic­times ou exi­lées. Mal­gré les mani­fes­ta­tions en Armé­nie et un peu par­tout dans le monde, les échos inter­na­tio­naux sont très faibles. Seul le Sénat fran­çais peut se féli­ci­ter d’a­voir voté une réso­lu­tion deman­dant à l’exé­cu­tif de recon­naître la Répu­blique auto­pro­cla­mée du Haut-Kara­bakh. C’est la seule ins­ti­tu­tion à être allée si loin, puisque même l’Arménie ne l’a pas recon­nue ! Cette réso­lu­tion aura le mérite d’at­ti­rer l’at­ten­tion sur le sort des Armé­niens sou­mis aux vel­léi­tés expan­sion­nistes de Bakou.

Cet automne, beau­coup de jeunes armé­niens prirent les armes pour défendre leur iden­ti­té. Leur cou­rage fit face à la puis­sance de l’Azerbaïdjan, ren­tier du pétrole et du gaz, sou­te­nu par la Tur­quie d’Er­do­gan, ser­gent-recru­teur du dji­ha­disme inter­na­tio­nal. Dans ce conflit, Vla­di­mir Pou­tine pré­fère s’en­tendre avec son grand sud domi­né par l’is­lam tur­co­phone chiite plu­tôt qu’a­vec un confet­ti chré­tien sans grand inté­rêt stratégique.

Cet accord du 10 novembre appa­raît comme une revanche azé­rie. Il pré­voit la rétro­ces­sion à l’Azerbaïdjan d’une majo­ri­té de ter­ri­toires conquis par l’Arménie lors de la pre­mière guerre du Haut-Kara­bagh (1991–1994).