Deux ans après l’incendie, la cathé­drale fait de nou­veau par­ler d’elle. Non plus à cause de sa flèche ou de la res­tau­ra­tion exté­rieure du bâti­ment, mais en rai­son du pro­jet de réamé­na­ge­ment inté­rieur. Celui-ci, vali­dé avec quelques réserves le 7 décembre par la Com­mis­sion natio­nale du patri­moine et de l’architecture, est tou­jours l’objet de contes­ta­tions par une par­tie des catho­liques et des conser­va­teurs du patri­moine. Une polé­mique jugée sté­rile par une source proche du dossier.

« Dis­ney­land », « un Christ­land des­ti­né aux tou­ristes ». Les langues sont vives et les cri­tiques vont bon train. 100 per­son­na­li­tés du monde de la culture, dont Sté­phane Bern et Alain Fin­kiel­kraut, se sont insur­gées dans les pages du Figa­ro contre ce pro­jet jugé « kitsch » et « niais ». « Ce que l’incendie a épar­gné, le dio­cèse veut le détruire », lit-on en titre de cette tri­bune publiée le 7 décembre.

Y a‑t-il pour­tant de quoi faire cou­ler autant d’encre ? Le dio­cèse de Paris sou­haite-t-il réel­le­ment révo­lu­tion­ner la cathé­drale pour en faire un site tou­ris­tique désacralisé ?

Des propositions imprécises qui donnent lieu à des incompréhensions

Dans la confu­sion média­tique, il est impor­tant de dis­tin­guer trois choses : le pro­jet, la polé­mique, et la réa­li­té. Cela ne signi­fie pas que les trois ne se recoupent pas par moment, mais leur conte­nu dif­fère sur beau­coup de points. 

« À l’heure actuelle, nous n’avons aucune idée de ce à quoi res­sem­ble­ra le pro­jet lorsqu’il sera défi­ni­ti­ve­ment validé. » 

De nom­breux élé­ments sont actuel­le­ment sou­mis à une nou­velle étude, d’autres ont été reje­tés. La pre­mière ver­sion du pro­jet était impré­cise et man­quait de sché­mas pour visua­li­ser les propositions. 

En l’absence d’images, il n’est pas sur­pre­nant de voir que l’idée des bancs lumi­neux à rou­lettes, à la place des chaises, concentre à elle seule une bonne par­tie des cri­tiques. Pour­tant l’intention était sans doute de faci­li­ter le dépla­ce­ment des sièges lorsqu’il faut déga­ger la nef. Les experts doivent pré­sen­ter un pro­to­type de ces bancs, nous sau­rons ain­si ce qu’ils entendent par « bancs lumi­neux ». La com­mis­sion sera, de toute façon, de nou­veau consul­tée sur ce point. 

Concer­nant les pro­jec­tions murales de phrases issues de l’Évangile, il s’agirait de quelque chose de sobre, du reste indo­lore pour la cathé­drale, et réver­sible. Rien de com­pa­rable à Disneyland. 

Le net­toyage des vitraux et sur­tout des 14 cha­pelles, qui étaient très sales et déla­brées bien avant l’incendie, révè­le­ront enfin la splen­deur de l’édifice et du mobi­lier qui les com­pose. Les pierres retrou­ve­ront ain­si leurs cou­leurs d’origine. 

L’axe litur­gique de la nef sera reva­lo­ri­sé. L’entrée se fera désor­mais par le grand por­tail cen­tral, pour mettre bien mieux en valeur l’édifice aux yeux des visi­teurs. La déam­bu­la­tion se pour­sui­vra par le côté nord (à gauche en entrant), et non plus par le côté sud. Le père Gilles Drouin, res­pon­sable du pro­jet de réamé­na­ge­ment inté­rieur, explique que ce sens de cir­cu­la­tion s’inscrit dans une sym­bo­lique de l’histoire évan­gé­lique. Celui-ci sui­vrait les thé­ma­tiques sui­vantes : au nord, l’Ancien tes­ta­ment, puis l’incarnation, la pas­sion et la résur­rec­tion vers le chœur, et l’Église et les saints au sud.

Le pro­jet pré­voit l’ajout de pièces de mobi­lier d’art d’aujourd’hui, sans que celui-ci ne rem­place l’exis­tant. Albé­ric de Mont­gol­fier, pré­sident de la Com­mis­sion natio­nale du patri­moine et de l’architecture, assure qu’ « aucun objet ou tableau qui se trou­vait dans la cathé­drale avant l’incendie n’en sor­ti­ra ». Les confes­sion­naux seront dépla­cés sans pour autant être mis au pla­card. Cer­taines tapis­se­ries s’offriront une nou­velle jeu­nesse sur des murs mieux éclairés.

L’intérieur de la cathé­drale sera loin d’être bou­le­ver­sé. Aucune modi­fi­ca­tion struc­tu­relle ne trans­for­me­ra le monu­ment en profondeur.

Des intentions mal interprétées

Repre­nons l’esprit du pro­jet, les inten­tions du dio­cèse. Celui-ci avait deux idées en tête : avant tout, et c’est l’objectif pre­mier, ren­for­cer le pri­mat de la litur­gie et du culte. Ensuite, pro­fi­ter du pas­sage des 13 mil­lions de visi­teurs par an pour leur faire com­prendre le mys­tère de la cathé­drale, dans une optique missionnaire.

Les inten­tions ont été mal com­prises. La polé­mique laisse entendre que le dio­cèse sou­haite pri­vi­lé­gier l’accueil des tou­ristes au détri­ment du culte. L’emploi à tout-va de termes comme la « désa­cra­li­sa­tion » ou la « déna­tu­ra­tion » de la cathé­drale par les contes­ta­taires détourne le débat des objec­tifs du projet.

La question du sacré dans l’art contemporain

Des noms d’artistes contem­po­rains sor­tis dans la presse, tels que Ernest Pignon-Ernest, Anselm Kie­fer ou Louise Bour­geois, ont pro­vo­qué de vives réac­tions. Le père Drouin affirme que le dio­cèse n’a encore rien déci­dé sur le choix des artistes, ni sur les œuvres elles-mêmes. L’expression contem­po­raine pour­rait légi­ti­me­ment trou­ver sa place dans la cathé­drale, à la condi­tion d’un art au ser­vice de la litur­gie. Ce ne serait pas la pre­mière fois : la flèche de Viol­let-le-Duc, l’architecte de la grande res­tau­ra­tion de 1845 à 1865, était à la fois une prouesse archi­tec­tu­rale et une folie moder­niste. L’art d’aujourd’hui en est-il encore capable ? Peut-il répondre aux objec­tifs d’une église, à savoir le ser­vice du sacré et du beau ? « C’est plu­tôt sur cette ques­tion que devrait se concen­trer le débat, qui dépasse lar­ge­ment le cadre du chan­tier, plu­tôt que de s’égarer dans des polé­miques sté­riles où les inten­tions sont dévoyées », affirme notre interlocuteur.

Le rôle décisif du futur archevêque de Paris

En sus­pens depuis la démis­sion de Mon­sei­gneur Aupe­tit, le pro­jet pour­rait être ame­né à évo­luer avec l’arrivée d’un nou­vel arche­vêque. Il aura une place déci­sive dans la suite du pro­ces­sus. Ce chan­ge­ment pour­ra être l’occasion de nou­velles pro­po­si­tions, d’une nou­velle vision du projet.