En se présentant comme la candidate du pouvoir d’achat, il y a près d’un an, Marine Le Pen a semble-t-il eu du flair politique. La question est aujourd’hui centrale dans un débat – certes phagocyté par la guerre en Ukraine. A la veille de sa rentrée politique en septembre dernier, la candidate du Rassemblement national annonçait deux mesures à caractère économique : la suppression de la contribution à l’audiovisuel public et la nationalisation des autoroutes si elle était élue présidente en avril 2022. Malgré des contradictions pas tout à fait aplanies, Marine Le Pen semble devoir tracer son sillon vers le second tour.
Une appropriation des questions économiques par la droite patriote
Le Front national d’hier, comme le Rassemblement national (RN) d’aujourd’hui, est trop souvent réduit à sa seule prise en compte des questions d’immigration, de sécurité, de mœurs. C’est oublier que la notion de souveraineté économique, aujourd’hui déclinée à l’envi par les membres de la majorité présidentielle comme par une certaine gauche souverainiste, est une déclinaison naturelle de celle de préférence nationale, qui fonde l’idéologie défendue par le RN depuis ses débuts. Si ces sujets sont, de longue date, défendus par les élus du mouvement au contact direct des Français, le moment était venu pour Marine Le Pen de s’en emparer ouvertement en vue de la présidentielle de 2022.
Car, dans le même temps, les prétendants à la candidature suprême s’approprient de plus en plus ouvertement le corpus idéologique qui fait du RN le seul mouvement politique authentiquement populaire et patriote. Il est plus que jamais temps, pour Marine Le Pen, d’affirmer la singularité du RN face à ceux qui s’approprient ses idées tout en feignant de le combattre. Même Fabien Roussel, candidat communiste à la présidentielle de 2022, a fait de la sécurité l’une des priorités de sa campagne…
A un peu plus de six mois seulement de l’élection présidentielle, Marine Le Pen a donc réussi à imposer ses thèmes dans le débat. Reste pour elle à s’imposer sur les sujets économiques afin que l’électorat patriote ne subisse pas un bis repetita de 2017. La candidate RN, opposée à l’actuel président lors du traditionnel débat d’entre-deux-tours, n’avait pas réussi à imposer sa ligne directrice sur les sujets économiques. En face d’elle, un Emmanuel Macron façonné par la finance internationale et la droite libérale avait déroulé aux Français un rassurant exposé européiste, libre-échangiste et dérégulateur. La persistance du chômage de masse ou l’augmentation du taux de pauvreté des Français ont confirmé, si cela était encore nécessaire, l’impasse de cette idéologie. Le temps est peut-être venu pour les Français de sortir de cette logique mortifère.
Audiovisuel public et autoroutes : deux propositions aux effets incomparables
En ouvrant sa campagne sur l’audiovisuel public et les autoroutes, Marine Le Pen aborde deux thèmes qui parlent à ceux des électeurs qui se sentent, à raison, trahis par une gauche plus prompte à théoriser la notion de classe populaire qu’à mettre en œuvre des solutions à son service.
L’audiovisuel public est aujourd’hui un réseau de propagande au service d’une idéologie « progressiste », repentante et anti-France, sapant la possibilité d’une conscience nationale commune au profit des particularismes et des dérives wokistes. Infiltré par une élite médiatique hors-sol, sa valeur ajoutée en tant que source d’information est faible. L’audiovisuel privé ne fait pas moins bien en termes de traitement de l’actualité, tandis que les organes de réinformation se passent de subventions publiques. Au-delà de l’aspect idéologique, la contribution à l’audiovisuel public est inique. Elle s’applique à tout foyer possesseur d’un téléviseur ou appareil assimilé, même exonéré de taxe d’habitation. Et frappe sans distinguer téléspectateurs et auditeurs ou non de ces chaînes de télé et stations de radio publiques. La réforme proposée par Marine Le Pen, simple à mettre en œuvre et effective, permettra de sauvegarder le pouvoir d’achat des plus de 27 millions de foyers qui versent cette contribution pour un montant de plus de 3,5 milliards d’euros par an.
En ce qui concerne la moins idéologique mais tout autant symbolique « nationalisation » des autoroutes en revanche, les calculs de Marine Le Pen sur le pouvoir d’achat des Français apparaissent erronés.
Le terme de « nationalisation » en lui-même est impropre : les autoroutes appartiennent déjà à l’État, qui en délègue la gestion et l’entretien pour une durée et selon un cahier des charges déterminés par un système de concession. Il y a ensuite deux manières de comprendre le projet de Marine Le Pen. La première, une « nationalisation » faisant reposer l’entière charge des infrastructures autoroutières sur les finances publiques, en rendant les autoroutes « gratuites », est un non-sens économique. La puissance publique s’est en effet historiquement appuyée sur les entreprises privées pour développer le réseau autoroutier, en leur faisant supporter les risques économiques et techniques. Revenir sur ce système n’est ni possible, au vu de la situation des finances publiques, ni même souhaitable. Non seulement les personnes n’empruntant pas l’autoroute pour leurs déplacements paieraient pour son entretien. Mais ce système irait également à l’encontre du principe de préférence nationale : les Français paieraient pour les millions de véhicules étrangers qui utilisent le réseau chaque année.
La seconde hypothèse, plus probable, est que Marine Le Pen veut substituer l’État aux entreprises concessionnaires pour la gestion des autoroutes. Le principe de l’utilisateur-payeur, via un système de péage, resterait inchangé. Pour la présidente du RN, ce système devrait « faire baisser de 10 à 15% le prix des péages » et augmenter les recettes de l’État d’un milliard et demi d’euros par an. Dans les faits, ce système contribuerait surtout à transférer à la puissance publique les risques de la concession, sans lui en conserver les avantages. Sur le plan technique, les autoroutes sont développées depuis des décennies par des entreprises ayant acquis un savoir-faire difficilement substituable. Sur le plan financier, le système de la concession est très avantageux pour la puissance publique, qui fait reposer l’ensemble du risque financier – endettement, risque de fréquentation – sur l’opérateur privé tout en percevant 40% du prix du péage en impôts et taxes divers. Les autoroutes sont ainsi gérées aujourd’hui de façon optimale tant pour les finances de l’État que pour celles des contribuables. Ce qui n’est pas le cas, à titre de comparaison, pour les routes nationales non concédées…
En s’aventurant sur le terrain économique, Marine Le Pen a pris un risque nécessaire mais a ouvert le flanc aux critiques. Pourtant, les propositions égrenées au fil des mois font de plus en plus écho à une population française en détresse économique et sociale. Les notions de préférence nationale, souverainisme économique, protectionnisme, doivent être la colonne vertébrale de la doctrine économique de la France. En donnant une vraie cohérence idéologique et économique à ses propositions Marine Le Pen est au coude-à-coude avec un Emmanuel Macron qui semble de plus en plus fébrile à mesure que s’approche l’échéance.