Du 9 mars au 10 juillet 2022, le musée des années Trente de Boulogne-Billancourt abrite une vaste exposition sur une icône du septième art, un témoin de toutes les péripéties du dernier siècle et un homme qui lança la carrière des plus grands acteurs français : Jean Gabin.

Le musée des années Trente n’en est pas à sa pre­mière. Après une magni­fique expo­si­tion sur le paque­bot Île-de-France, il a choi­si cette année de se tour­ner vers le comé­dien mythique qu’est Jean Mon­cor­gé, alias Jean Gabin. Pour­quoi à Bou­logne-Billan­court ? Car c’est ici qu’il tour­na plus du quart de sa cen­taine de films, dans les stu­dios de Bou­logne et de Billan­court. Son jeu d’acteur inimi­table et unique incarne la France de son époque mar­quée par d’énormes trans­for­ma­tions. Il sym­bo­lise tous les types de Fran­çais avec puis­sance et sobrié­té, pour le plus grand plai­sir des spec­ta­teurs se pres­sant en salle pour voir ses plus grandes productions.

La Ville de Bou­logne-Billan­court ne fait pas les choses à moi­tié : l’exposition, à la mesure du pro­ta­go­niste, se déploie sur 700 m². Avec l’aide de la famille de Jean Gabin, elle est par­ve­nue à ras­sem­bler des tré­sors ines­ti­mables, ain­si que de nom­breux témoi­gnages : des effets per­son­nels, des traces de ses contrats, lettres et scé­na­rios, ses cos­tumes les plus emblé­ma­tiques comme la che­mise qu’il porte dans Maria Chap­de­laine, l’un de ses tous pre­miers longs-métrages, mais aus­si du maté­riel ciné­ma­to­gra­phique de l’époque, venu tout droit des anciens stu­dios. Elle nous replonge ain­si dans l’univers si par­ti­cu­lier mais si atta­chant des années 30 jusqu’aux années 70, pour ce pre­mier hom­mage d’une telle ampleur consa­cré à Jean Gabin.

Du music-hall au Quai des Brumes

L’histoire de Jean Gabin est un peu l’histoire de la France. En effet, le colosse du sep­tième art a vécu tous les évè­ne­ments mar­quants du XXe siècle, des deux guerres en pas­sant par la crise éco­no­mique, le Front Popu­laire et les Trente Glo­rieuses. Jean Mon­cor­gé naît le 17 mai 1904 à Paris et meurt le 15 novembre 1976 à Neuilly-sur-Seine. On ne peut évo­quer sa car­rière sans en appe­ler à l’influence évi­dente de sa famille. Les Mon­cor­gé sont des artistes dans l’âme. Son père est chan­teur et comé­dien d’opérette, tan­dis que sa mère, de plu­mas­sière se recon­ver­tit en chan­teuse « fan­tai­siste ». Quoi de plus pro­met­teur pour lan­cer le petit Jean sur les planches ? Le gar­çon gran­dit sur les bords de l’Oise avant de rejoindre son grand-père à Bou­logne-Billan­court. C’est à 18 ans qu’il entre dans le monde du spec­tacle, sur les conseils pater­nels avi­sés. Comme beau­coup de comé­diens et de futurs acteurs de ciné­ma de l’époque, Jean Mon­cor­gé, alias Gabin, com­mence par la chan­son et le théâtre de bou­le­vard. Très vite, grâce à son jeu très pro­met­teur, il se fait un nom dans le Tout-Paris. Il n’en faut pas plus pour lan­cer sa car­rière fil­mique. Si ses plus connus sont ceux d’après-guerre, il endosse ses qua­li­tés scé­niques et mimé­tiques dès les pre­miers dia­logues, dans les années 30, dans la période char­nière de la tran­si­tion vers le ciné­ma parlant. 

Pen­dant la guerre de 40, il s’engage dans les Forces fran­çaises com­bat­tantes, comme marin embar­qué, puis chef de char au régi­ment blin­dé de fusi­liers-marins. Marié trois fois et divor­cé deux fois, Jean Gabin n’est pas répu­té pour sa grande fidé­li­té. Un temps à New-York, il y ren­contre la célèbre Mar­lène Die­trich qui le prend sous sa pro­tec­tion. Il pour­suit ses films pen­dant les per­mis­sions, une pro­fes­sion qu’il ne peut oublier. 

L’acteur français par excellence

Pour­quoi tous les spec­ta­teurs de l’époque se retrouvent-ils autant dans les films de Jean Gabin ? Parce que « la gueule d’amour » comme on l’appelle alors incarne le visage du Fran­çais en lui-même, avec son nez rond et son sou­rire en coin. Il donne la réplique aux futures grands stars de la géné­ra­tion sui­vante, tels que Jean-Paul Bel­mon­do, Louis de Funès, Alain Delon, Ber­nard Blier ou bien même Gérard Depardieu. 

Jean Gabin a l’avantage de cou­vrir tous les évè­ne­ments qui ont scan­dé le XXe siècle. Il vient au monde à l’ère de l’avènement de l’automobile, du pétrole, de l’électricité, du télé­phone, du ciné­ma­to­graphe, à l’ère du pro­grès et de la moder­ni­té. C’est un homme qui reste cepen­dant extrê­me­ment atta­ché aux tra­di­tions, à la terre, à ses che­vaux et à ses par­ties de chasse, un bon « fran­chouillard » appré­cié de ses congé­nères. Il par­court la crise éco­no­mique, le chô­mage, le Front Popu­laire, subit la menace de la guerre et son arri­vée fatale. Par consé­quent, ses films s’inscrivent par­fai­te­ment dans leur contexte, mar­qué par de fortes reven­di­ca­tions sociales qui ne le laissent pas indif­fé­rent ; ain­si, il s’intéresse par­ti­cu­liè­re­ment à la condi­tion ouvrière et au tra­vail des mains, reje­tant aus­si les trans­for­ma­tions radi­cales des années 1950. Très iden­ti­taire, Jean Gabin reprend son vrai nom pen­dant la guerre, celui de Mon­cor­gé : la pro­fes­sion ciné­ma­to­gra­phique et la défense de la patrie sont deux choses dis­tinctes, et il ne sert à rien de mener le com­bat sous un pseudonyme.

Très vite deve­nu une vedette du ciné­ma fran­çais, le pro­ta­go­niste du Quai des Brumes tourne avec les plus grands réa­li­sa­teurs d’alors, comme Jean Renoir ou Mar­cel Car­né. C’est véri­ta­ble­ment à par­tir de Tou­chez pas au gris­bi, en 1954, qu’il devient le « pacha » du sep­tième art. Avec son phy­sique impo­sant et son regard sombre, il incarne sur­tout des rôles de truands ou de poli­ciers, sou­vent sur les dia­logues de Michel Audiard. C’est l’homme du peuple, l’ouvrier, le titi pari­sien, jouant tour à tour des chô­meurs, des déser­teurs ou des che­mi­nots. Puis, vers la fin de sa car­rière, il inter­prète le vieux mon­sieur grin­cheux des films comiques. Ses per­son­nages s’imposent dans l’imaginaire col­lec­tif du public fran­çais, déve­lop­pant des arché­types pro­fes­sion­nels ou sociaux : l’ouvrier d’avant-guerre, le patriarche bour­ru d’après-guerre, mais tou­jours bon vivant.

Avec ses 95 films, comp­tant de grands clas­siques cultes, comme La Bête humaine, Pépé le Moko, Le Quai des brumes, La Grande illu­sion, Le Pacha ou La Tra­ver­sée de Paris, Jean Gabin fait par­tie des acteurs fran­çais ayant atti­ré le plus de spec­ta­teurs en salle.