À la cathédrale St-Jean-Baptiste de Lyon, une cérémonie présidée par l’archevêque Mgr de Germay a commémoré l’ancien maire de la ville. Celui qui fut aussi sénateur et ministre de l’Intérieur était aussi connu pour avoir été franc-maçon. Retour sur ses obsèques catholiques très médiatisées qui interrogent, tant dans leur dimension politique que vis-à-vis du positionnement de l’Église sur le sujet.
L’événement était à la une en cette fin d’année. À 76 ans, Gérard Collomb, s’est éteint le 25 novembre à l’hôpital Lyon Sud de Saint-Genis-Laval, succombant à un cancer de l’estomac devenu incurable. Ses funérailles, organisées dans la foulée, ont rapidement pris une ampleur inattendue. Bien plus que sa famille, c’est toute sa ville et même les élites du pays qui sont venus le pleurer dans la capitale des Gaules. Du couple présidentiel Macron aux nombreuses personnalités politiques, sportives ou culturelles, tous ont répondu présent à la cérémonie tenue en grande pompe. Drapeaux, haie d’honneur militaire, grande schola et parterre de journalistes étaient de mise, le tout imposant un important dispositif de sécurité bouclant tout le quartier du Vieux-Lyon. Il faut dire que la cathédrale, comble plus d’une heure avant le lancement de la cérémonie, accueillait un millier de Lyonnais et près de 400 proches en plus des officiels et des centaines de badauds restés place St-Jean, devant l’écran géant. L’affluence est d’autant plus notable qu’il s’agissait d’une matinée de semaine, moment où l’essentiel de la population travaille.
De la confiscation du privé par le politique
L’affection des Lyonnais pour « Gégé », à la tête de leur ville 19 ans durant, est indubitablement la cause première de ce rassemblement. Cette bienveillance était connue et partagée par l’ancien maire qui a souhaité, avant de mourir, leur réserver une place de choix pour ses adieux. Ceux-ci ont pour autant rapidement pris une autre dimension, bien plus politique. L’un des prêtres qui officiait confie à ce sujet : « au bout de 48h, on a vite compris qu’on n’aurait pas le choix. Ce seraient des funérailles nationales. » La demande a émergé du sommet de l’État qui a choisi, pour l’occasion, d’envoyer plusieurs ministres, attirant davantage de curieux. On décelait ainsi, parmi les présents sur la place, bon nombre de personnes mues par le désir d’apercevoir leurs gouvernants à Lyon plutôt que par leur regret du défunt. « Ce n’est pas le 8 décembre, non plus. » Des trois discours inauguraux, d’un quart d’heure chacun, prononcés par Marc Lambron, Édouard Philippe et Emmanuel Macron, il ressort pourtant un portrait ultra élogieux de « Lyon fait homme », celui qui avait « foi en la République » et qui a, selon les mots du président, « changé ma vie » et « la vie des Français ». En outre, son cercueil a été très applaudi au sortir des deux heures d’hommage, donnant l’apparence d’une totale communion dans le deuil.
Face à cette unanimité, impossible de ne pas s’interroger sur la sincérité de propos si dithyrambiques. Du côté de la presse, certains, comme Lyon People, n’hésitent pas à fustiger « le bal des hypocrites » ou rappellent, comme L’Express, que les relations avec le président étaient quelque peu distendues. Sur place, les réactions sont elles aussi mitigées entre ceux qui applaudissent de bon cœur ces éloges et les autres, plus sceptiques qui pointent « du paraître ». Une chose est sûre, l’ancien parrain politique d’Emmanuel Macron, clef dans son ascension, ne laissait personne indifférent. Celui qui craignait en quittant son ministère « qu’on ne vive demain face à face » a su concilier des politiques de tous bords avant l’avènement du « en même temps ». Sa vision, capable de convenir à des camps très différents, avait le potentiel de rassembler la France en des temps où sa partition sociale semble plus forte que jamais. L’enjeu était donc trop important pour le laisser s’en aller discrètement.
Face à l’apothéose, la réserve des fidèles
Si la récupération utile de la figure de Gérard Collomb, canonisé en emblème national, a de quoi agacer ceux qui ne sont pas du même bord, ce n’est pourtant rien en comparaison d’une question lancinante au sein de la communauté catholique : comment a‑t-il été possible de célébrer des obsèques religieuses pour un franc-maçon notoire, qui plus est en présence des plus grands ecclésiastiques du diocèse ? Il faut rappeler ici la condamnation prononcée par l’Église à l’encontre de la franc-maçonnerie et de toute autre société secrète dès 1738 (bulle pontificale In eminenti apostolatus specula du pape Clément XII). Ce rejet repose principalement sur les dimensions gnostique et sectaire des loges, ainsi que sur les pratiques ésotériques de certaines. Pour mieux le comprendre, on pourra se tourner vers le pape Léon XIII qui a clairement récapitulé le fait aux fidèles à l’occasion du 8 décembre 1892. Ce témoignage d’un ancien franc-maçon repenti le complète admirablement. L’incompatibilité entre appartenance à l’Église catholique et à la franc-maçonnerie n’est pas sans conséquence puisque l’accès aux sacrements, en particulier à l’Eucharistie, est de facto rendu impossible à tout membre de la secte. De là l’émoi.
Seulement, voilà : les obsèques ne relèvent pas du domaine des sacrements et l’Église se verrait mal refuser de prier pour une âme, qui plus est quand celle-ci aurait, selon toute vraisemblance, pris ses distances avec l’institution maçonne. L’archevêque a de plus mentionné la « quête spirituelle » des derniers temps du disparu dont la cadette, Camille, a reçu il y a peu le sacrement de confirmation. Tous se souviennent aussi de sa proximité de longue date avec le cardinal P. Barbarin, présent à la cérémonie, et de sa présence régulière au renouvellement annuel du vœu des échevins. Pour cet ensemble de raisons, il eut été difficile à l’Église de ne pas répondre favorablement… sans se départir toutefois d’une certaine prudence.
Une stratégie subtile, entre volonté missionnaire et contrôle discret
La possible vertu d’un seul ne gageant pas de celle des autres, le clergé a choisi de ne pas célébrer de messe mais une simple bénédiction, minimisant les risques de sacrilège et de scandale. Face à la déchristianisation de la société et au recul de l’influence ecclésiale, la volonté était double. Premièrement, il s’agissait pour de faire exister un rite catholique dans le paysage médiatique, chose devenue assez rare. Le pari est plutôt réussi de ce côté-là puisque l’événement était diffusé en direct et largement commenté. La qualité de cette évangélisation 2.0 et de sa réception n’est cependant pas garantie. Il suffit, pour s’en rendre compte, de relever les nombreuses bévues des « spécialistes » invités sur les chaînes de télévision. Loin d’éclairer l’auditoire profane, leurs erreurs de termes ont surtout participé à réduire la bonne compréhension de la liturgie. La seconde ambition, moins affichée mais tout aussi importante, était d’éviter le détournement de ces obsèques en glorification de la République laïque, ce qui était déjà a minima le cas, ou par des rituels maçonniques. Palliant toute éventualité, Mgr de Germay a demandé à un prêtre de réaliser l’inhumation au cimetière de Loyasse, s’assurant le contrôle jusqu’à la mise en terre.
À l’issue de ces adieux clivants, difficile de se prononcer sur leurs effets. La première présence officielle dans une église de l’actuel maire de Lyon, Grégory Doucet, porte l’espoir d’un meilleur dialogue avec le diocèse. Ce dernier et l’ensemble de l’institution catholique doivent pour le moins repenser leur stratégie missionnaire et leur communication. La réflexion devient urgente au sein d’une société en crise où beaucoup, surtout les jeunes, peinent à trouver des points d’ancrage spirituel ou des valeurs repères. À l’heure d’un islam conquérant et d’un protestantisme jugé plus attrayant, il devient nécessaire pour le catholicisme de se positionner entre sa branche traditionnelle au discours plus affirmé et celle progressiste qui pourrait, par volonté de discrétion, le mener à son tour à la tombe.