Elisabeth Borne : qui peut prendre sa place comme Premier ministre ?

Depuis quelques jours les rumeurs d’un remaniement ministériel en France vont bon train, la défiance pour les 42 ministres se creuse et en particulier pour madame le Premier ministre. Qui pourrait-prendre sa place ?

 

Le changement c’est presque maintenant ! Du moins c’est ce qu’aimeraient les Français, selon un sondage Odoxa-Backbone publié par le Figaro ce matin du 18 juin. Près des deux-tiers des Français estiment qu’Élisabeth Borne devrait démissionner de son poste de Premier ministre, sa place est sérieusement menacée. Chose confirmée dans les rues par notre micro-trottoir où les français de tous âges et de toutes origines sociales se prononcent en majorité en faveur de son départ :

Après à peine 13 mois de présence, elle ne semble pas être celle qui va faire remonter les 34 mois moyens de longévité d’un Premier ministre à Matignon. Qu’elle se console, au moins elle aura battu le record de son unique homologue féminin à ce poste, Édith Cresson, et ses 10 mois d’activité...

Ce sentiment de mécontentement contraste particulièrement avec l’opinion publique mesurée lors du départ d’autres Premiers ministres. En 2020, l'ancien Premier ministre Édouard Philippe, par exemple avait été écarté alors que sa cote de popularité avoisinait les 50% et dépassait celle du Président Emmanuel Macron.

Plus que madame le Premier ministre Borne, c’est la République en Marche toute entière qui suscite le mécontentement, et plutôt que de compter à quel point les ministres suscitent l’adhésion pour calculer leur popularité, le sondage Odoxa-Backbone observe le taux de rejet dont ils font l’objet. Force est de constater qu’à part Sébastien Lecornu, ministre des Armées, tous les ministres voient au moins 35% des français demander leur départ tandis qu’à part Bruno Le Maire, aucun n’arrive à susciter plus de 35% d’adhésion.

 

Plus qu’un remaniement pour le poste de Premier ministre, les Français demandent un changement de ligne politique

 

56% des français désirent que le gouvernement passe un accord avec les Républicains, montrant que malgré leur défaite cuisante aux présidentielles, ils sont encore vus comme un parti crédible qui a sa place dans les affaires gouvernementales. Au grand dam de Manuel Valls, toujours à l’affut d’un poste, qui déclarait le 9 juin sur « ça vous regarde » que la politique lui manquait beaucoup. Mais face à l’impopularité d’Élisabeth Borne est-ce dans leurs rangs qu’un Premier ministre sera trouvé ? Et bien pas vraiment, le « favori » ou plutôt le moins « défavori » est Bruno Lemaire, puisque « seulement » 50% de la population estime qu’il ne serait pas bon dans le poste, tandis que 30% l'y verrait bien. Il devance largement Xavier Bertrand, le seul des Républicains considéré en lice, qui suscite 52% de rejet pour 24% d’adhésion.

Il est surtout plus crédible de regarder du côté de personnalités politiques moins connues du grand public pour devenir Premier ministre

Ces personnalités pourraient bien remplacer Elisabeth Borne, elles ont l’avantage de ne pas susciter instantanément de grande impopularité, après tout c’était la stratégie d'Emmanuel Macron en nommant Élisabeth Borne Premier ministre. Dans cette optique, et malgré une adhésion presque inexistante, Julien Denormandie, ancien ministre de l’agriculture est en position favorite car « seulement » 39% des Français ne le voient pas dans le poste et 53% attendent de voir. Dans la même optique Yaël Braun-Pivet et Sébastien Lecornu sont crédibles puisqu’avec des scores de rejet autour des 40%, ils sont les cadors de la popularité Macroniste…

Devant ces chiffres, si ce sondage montre bien quelque chose, c’est que les Français ne veulent plus de la Macronie.

 

Bastian Siguret

 


Conservateurs, populistes et progressistes ? Le sens des mots décryptés par Olivier Dard

Pour être à la mode depuis 2017, il ne faut plus être de droite ou de gauche, mais assumer une pensée, une identité idéologique. Le second tour le montre : Marine le Pen et Emmanuel Macron ont une vision bien différente voire totalement opposée sur des sujets économiques et sociaux, mais aussi de la France en général. On retrouve un discours qui s'adresse aux classes populaires chez Marine le Pen face à un discours en faveur du « progrès » chez Emmanuel Macron. Olivier Dard, professeur à la Sorbonne en histoire des idées, et spécialiste des droites en France, nous donne un éclairage sur le positionnement idéologique des candidats.

Vous êtes le coauteur d’un récent Dictionnaire du progressisme[1], paru pendant la campagne présidentielle. Pourquoi un dictionnaire sur cette thématique ?

Lorsqu’on a fait le dictionnaire du conservatisme[2], on s’est rendu compte, Frédéric Rouvillois, Christophe Boutin et moi-même que chez Emmanuel Macron, il y a aujourd’hui deux ennemis : le conservatisme et le populisme. Par ailleurs depuis 2016, l'actuel président de la République se réclame ouvertement du progressisme. Il a répété cette affiliation sur le media en ligne Brut, le 8 avril dernier. La campagne de 2017 fut un nouveau tournant dans l’utilisation du terme progressiste. Mais le premier à mon sens – le plus récent – fut celui des débats sur le mariage pour tous en 2013, où les clivages « progressistes » contre « conservateurs » sont réapparus. Dans notre dictionnaire, nous cherchons à faire un panorama de l’utilisation de ce concept en politique et dans le langage médiatique.

Pourriez-vous nous faire un historique de ces deux termes ?

L’idée même de progrès d’abord, se développe surtout au XVIIIe siècle. La Révolution ensuite, reprend le concept à son compte, en cherchant à faire table rase du passé, de l’Ancien régime, et à créer une cité et un homme nouveaux. Le mot « progressisme » apparaît quant à lui en 1842 dans le dictionnaire des mots nouveaux, et s’oppose en France au terme « conservateur » à la fin du XIXe siècle. Les conservateurs désignent le camp monarchiste après 1875, lorsque légitimistes et orléanistes échouent définitivement à installer leur prétendant sur le trône de France. Attention, le mot « conservateur » date, lui, du début du XIXe siècle. Il désigne le titre de la revue Le Conservateur, dirigée par Châteaubriand à partir de 1816, qui contribue largement à la définition du terme.

Venons-en à la campagne présidentielle. Peut-on dire en ce sens qu’Emmanuel Macron incarne le candidat progressiste par définition ? Frédéric Rouvillois a publié un article intitulé « Macronie » ! Est-il possible de l’inscrire dans une lignée avec d’autres candidats aujourd’hui ?

Emmanuel Macron a accentué le dynamitage du clivage droite-gauche entre 2017 et 2022. Valérie Pécresse en a d’ailleurs fait l’aveu dans un entretien au Figaro le 12 avril dernier, en attribuant sa défaite au fait qu’Emmanuel Macron avait copié son programme. C’est une grave erreur à mon sens, parce qu’elle a fait la démonstration d’une faiblesse incontestable en avouant en fin de compte n’avoir presque aucune différence idéologique ou programmatique avec le président. La conclusion que j’en tire est que la droite républicaine gaulliste n’existe plus guère aujourd’hui, parce que n’ayant plus de socle idéologique propre.

A défaut de socle idéologique, les Républicains ont-ils encore un socle électoral ?

Non, et les 4,7% de Valérie Pécresse nous l’ont bien montré. L’échec des Républicains s’explique surtout par leur incapacité à choisir entre la branche conservatrice qui s’en est allée chez Éric Zemmour, et une branche progressiste, partie en grand nombre chez Emmanuel Macron. Aujourd’hui, le projet d’union de la droite et du centre que souhaitait opérer Nicolas Sarkozy avec l’UMP en 2007, et qu’il a poursuivi avec les Républicains en 2015, a tout simplement échoué. D’ailleurs, il suffit de voir comment ont voté les électeurs de l’ouest parisien, essentiellement préoccupés par les questions économiques, et très peu par les enjeux de société ou identitaires. Traditionnellement, ils votaient massivement LR. Dès 2017, leur vote du second tour était entièrement en faveur d’Emmanuel Macron. Ce qui s’est confirmé au premier tour de 2022.

Avec l’apparition d’un candidat comme Éric Zemmour, et déjà avec Marine le Pen, peut-on dire qu’il y a un retour de l’opposition entre candidats progressistes et conservateurs parmi les candidats ?

Le conservatisme chez Éric Zemmour est une question complexe. Aujourd’hui, il s’incarne essentiellement dans la figure de Marion Maréchal, qui pour beaucoup d’électeurs de droite, est une figure des valeurs conservatrices. Elle s’est en particulier illustrée lors des Manifs pour Tous entre 2013 et 2017, incarnant ainsi la branche conservatrice du Rassemblement national (ex-FN) de l’époque. Elle est d’une certaine manière à sa place chez Éric Zemmour, qui regroupe les anciennes grandes figures conservatrices des Républicains et du Rassemblement national. Il est certain que plus qu’une union des droites, il s’agit d’une nouvelle union des conservateurs autour d’un programme commun.

Peut-on opposer aujourd’hui dans l’électorat, comme le fait David Goodhart, les « anywhere » et « somewhere » ? Que veut-il dire par-là ?

Les « somewhere », ce sont les enracinés, ceux qui ne peuvent pas quitter leur ville ou leur village, par manque de moyens économiques. Ce sont souvent les électeurs de Marine le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon. On pourrait associer les gilets jaunes à cette catégorie de la population par exemple. Ces personnes ont un travail modeste – employé, fonctionnaire territorial – et ont tout juste les moyens d’élever une famille. Leurs enfants vont bien sûr à l’école public du secteur. A l’inverse, les « anywhere », ce qui se traduit par « les personnes venant de nulle part », sont les jeunes d’une sociologie mondialisée, scolarisés dans les centres-villes, ou en région parisienne, et qui ont les moyens de quitter la France pour faire une partie de leurs études, ou un stage. Ils se distinguent souvent par une meilleure maîtrise des langues étrangères, qui facilitent leur recrutement lors de leur première recherche d’emploi. La mise en avant de l’apprentissage des langues étrangères par Jean-Michel Blanquer dans sa dernière réforme de l’enseignement, vise particulièrement ce genre d’électorat issu des classes moyennes supérieures, plutôt favorable aux idées d’Emmanuel Macron.

 

[1] Frédéric Rouvillois, Olivier Dard, Christophe Boutin, Dictionnaire du progressisme, Cerf, 2022, 1234 p.

[2] Dictionnaire du conservatisme, Cerf, 2017, 1072p.