Le succès de la série Gueuleton, parmi d’autres concepts du même acabit, témoigne de la réelle aspiration de la jeunesse à renouer d’un héritage que beaucoup croyaient en berne. L’art de vivre à la française semble reprendre la place que lui devait son caractère unique. L’excellence du terroir, l’exaltation de la franche camaraderie, sont de retour sous les feux des projecteurs. Malgré une absence totale de messages ouvertement politiques, il est possible d’y voir une continuation du combat culturel par d’autres moyens.

Il y a main­te­nant six ans que Vincent Ber­nard-Com­pa­rat et Arthur Edange ont publié le pre­mier épi­sode de leur web­sé­rie « Ter­roirs de Gueu­le­tons », un concept dont il n’est rien de moins natu­rel et évident. Armés d’une sin­cère gaie­té de vivre, d’un appé­tit franc, et d’une pro­fonde pas­sion pour le ter­roir, ils pro­mènent leur 2CV dans les coins les plus délais­sés de France pour y pro­mou­voir le savoir-faire et l’art de vivre qui par­fument encore ces cam­pagnes iso­lées. Bien loin des stu­dios de Cnews, des antennes de Sud Radio, des bureaux du Figa­ro, par-delà le péri­phé­rique et la ban­lieue pari­sienne, en des régions que jadis l’on nom­ma le « pays réel », ces deux amis ont déci­dé de défendre leur héri­tage d’une façon aus­si simple qu’originale, avec certes moins d’arguments chif­frés et de longs dis­cours, mais non sans une effi­ca­ci­té certaine.

Si leur aven­ture com­mune est née lorsqu’ils ont créé leur res­tau­rant à Agen en 2013, c’est véri­ta­ble­ment ladite série, à suivre sur You­Tube et Face­book, qui leur a assu­ré un pre­mier suc­cès. Aujourd’hui, ils peuvent se tar­guer de chiffres édi­fiants. 110 000 abon­nés You­Tube les regardent fes­toyer en com­pa­gnie non exhaus­tive d’éleveurs de pou­lets et de canards, de bouilleurs de crus, dis­til­la­teurs de spi­ri­tueux ou encore de chas­seurs de palombes, le tout dans des vidéos tota­li­sant plus de 10 mil­lions de vues. Sur Face­book, ils ont récem­ment dépas­sé le demi-mil­lion d’abonnés. Comme en témoignent les innom­brables com­men­taires recon­nais­sants sous leurs vidéos, c’est à tra­vers eux que beau­coup de jeunes fran­çais redé­couvrent un pan de la culture dont ils avaient été cou­pés par la vie cita­dine et l’hégémonie des fast-foods : « Chaque vidéo est un coup de pied au cul contre la mal­bouffe et la moro­si­té de ce XXIeme siècle ! Bra­vo et conti­nuez ! », « Mer­ci encore j’ai décou­vert votre chaine il y a envi­ron un mois, et c’est pour un moi un véri­table tré­sor… Je pen­sais que cette France avait dis­pa­ru, et le fait de voir des gens, aimer, per­pé­tuer la culture et le ter­roir fran­çais, ça me touche énor­mé­ment ! Ne chan­gez rien ! ». Mieux, ils font renaître un véri­table regain d’intérêt pour la rura­li­té, plus tran­quille, sin­cère et enra­ci­née, qui peut consti­tuer un idéal pour une jeu­nesse en quête de sens et de valeurs. Sans ouver­te­ment déli­vrer de mes­sage poli­tique, leurs pro­duc­tions renouent avec une par­tie du génie fran­çais peu abor­dée dans les médias clas­siques. Un génie avant tout gas­tro­no­mique, mais qui naît dans l’excellence de l’élevage et de la culture natio­nale, et s’étend jusqu’à l’esprit de convi­via­li­té et de cama­ra­de­rie assez unique au monde, dans lequel baigne ces hommes des temps anciens. Occi­tans, corses, bre­tons, … les iden­ti­tés régio­nales s’érigent toutes fiè­re­ment pour for­mer ensemble l’entière richesse du patri­moine national.

L’éloge du “Bon vivant”

C’est aus­si une recon­nexion avec la splen­deur des ter­ri­toires de France qui s’opère à tra­vers les expé­di­tions des deux com­pères. Des côtes bre­tonnes aux prai­ries du Lot, des marais salins de Noir­mou­tier aux vignes de Cognac, les plans de vue fil­més par drone mettent à l’honneur l’incroyable diver­si­té dont notre terre est douée. Mais ce qui fait sur­tout le suc­cès la chaîne, c’est bien l’esprit de fête qui habite cha­cun des épi­sodes. Quel que soit le pro­duit décou­vert ou la bour­gade élue, les per­son­nages qui appa­raissent à l’écran ont en com­mun l’art de savou­rer le moment pré­sent, autour de chants et de mets fine­ment sculp­tés par les tra­di­tions locales. Arthur et Vincent, conscient de leur force, ont vou­lu plei­ne­ment exploi­ter son poten­tiel en l’explicitant par une expres­sion bien fran­chouillarde, le « bon vivant ». Leurs deux vidéos les plus vues : une chan­son du même nom, avec le groupe Trot­toirs d’en face, et un repas fameux en com­pa­gnie de l’humoriste Jason Chi­can­dier, lui aus­si ambas­sa­deur de l’esprit « bon vivant » dans une bras­se­rie pari­sienne du nom de… Bon vivant.

Loin de vou­loir la can­ton­ner aux seuls réseaux sociaux, la marque Gueu­le­ton s’est tou­jours atta­chée à se diver­si­fier et à prendre corps dans la réa­li­té. Quoi de plus nor­mal pour un tel éloge de la bonne chère ?  Du pre­mier res­tau­rant ouvert à Agen, il en est né neuf autres depuis 2016, tous pra­ti­que­ment dans le Sud-Ouest, cela en plus de pro­po­ser des ser­vices de trai­teur par­tout en France. Mais, jamais ras­sa­siés, les fon­da­teurs de Gueu­le­ton ont une mul­ti­tude d’autres acti­vi­tés, tels l’élevage de porcs noirs de Bigorre, une bou­tique en ligne joli­ment gar­nie, la créa­tion en cours d’une dis­til­le­rie, et sur­tout, le lan­ce­ment fin 2020 de Gueu­le­ton Maga­zine : un tri­mes­triel dans le pro­lon­ge­ment de la série, dont le der­nier numé­ro en date a consa­cré sa Une au pâté en croûte.

Un rôle à jouer dans la défense culturelle de la France

Au-delà du carac­tère tri­vial et sym­pa­thique qui se dégage en pre­mier lieu de Gueu­le­ton, la chaîne se démarque par sa capa­ci­té à prendre place dans le com­bat cultu­rel pour la défense de l’héritage natio­nal. Ceci non en oppo­si­tion, mais bien en com­plé­ment des débats poli­ti­co-intel­lec­tuels des médias mains­tream, dont la moro­si­té et la rou­tine rebutent une grande par­tie de la popu­la­tion. En dépla­çant la lutte sur un ter­rain bien plus consen­suel, la pro­mo­tion du ter­roir et de la fes­ti­vi­té, ceux qu’il faut désor­mais appe­ler les bons vivants, per­suadent en 3 minutes de vidéos des per­sonnes qu’il aurait fal­lu convaincre en plu­sieurs heures de rai­son­ne­ments plus com­plexes. Aus­si, ils rap­pellent que les­dits rai­son­ne­ments com­plexes n’ont de valeur que dans la mesure où ils finissent par s’incarner et prendre chair dans le quo­ti­dien, sans quoi ils ne seraient que des paroles trop légères pour peser dans un débat.

Aujourd’hui, une réelle ten­dance s’est déve­lop­pée autour de cette néces­si­té d’incarner et de louer l’art de vivre à la fran­çaise. C’est meilleur quand c’est bon, une série elle aus­si vouée à décou­vrir des recettes et des éta­blis­se­ments authen­tiques à tra­vers le pays ; BENCH&CIGARS, une chaîne You­Tube tenue par Bap­tiste Mar­chais, record­man de France de déve­lop­pé cou­ché qui s’est fait connaître grâce à ses gar­gan­tuesques « Repas de sei­gneurs » à base de viandes et de fro­mages pro­duits de manière arti­sa­nale : enfin, Neo, un média type Brut enga­gé sur la voie de l’enracinement et de la pro­mo­tion du patri­moine fran­çais. Tous ont com­pris que bien des jeunes, peu convain­cus par la fibre Kon­bi­ni, aspirent à retrou­ver l’amour qu’on leur a fait perdre pour leur his­toire, leur génie, pour leur pays.