Le 15 mars, le conflit international en Syrie entrait dans sa onzième année. En manque de données chiffrées, les agences de presse comme l’AFP, Reuters et Associated Press relaient les informations de l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une source pourtant plus que contestable.
Dix ans après son commencement, la guerre en Syrie se solde par au moins par 388 652 morts, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). Dans sa dépêche, l’AFP reprend ce chiffre que les rédactions françaises s’empressent de relayer. Aucun media ne parle du peu de fiabilité de cette ONG.
Créé en mai 2006 à Coventry (Royaume-Uni), l’OSDH est dirigé par une seule personne : Rami Abdel Rahmane. Ce Syrien exilé en 2000 est le seul militant du réseau à l’étranger. Il revendique environ 200 contacts sur place.
L’OSDH s’octroie le monopole du comptage de victimes
La quasi-exclusivité des sources d’informations de l’OSDH rend souvent impossible leur vérification. L’Occident refuse de prendre en considération l’agence de presse SANA, organe officiel syrien. En 2012, les États-Unis la placent même sur leur liste noire. Le département du Trésor américain prétextait que la radio-télévision publique syrienne « a servi d’instrument au régime alors que celui-ci mettait en place des attaques de plus en plus barbares contre sa propre population et cherchait à cacher les violences autant qu’à les légitimer » .
Quant au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH), il stoppa le comptage officiel en avril 2014. L’ONU déplore de ne pas pouvoir suffisamment accéder aux zones de conflit et de ne pas disposer de sources fiables sur le terrain.
Ce contexte permit à l’OSDH de devenir « comme une agence de presse » qui « fait l’actualité syrienne » pour la presse internationale, constate Hala Kodmani. La journaliste franco-syrienne explique que « l’OSDH s’est assuré un monopole du comptage des victimes, en s’imposant un peu par rapport aux autres organismes comme le Syrian Network for Human Right (SNFR) et le Violation Documentation Center (VDC) ».
Le manque de fiabilité de l’OSDH
Ignace Leverrier, le fondateur du blog « Un œil sur la Syrie », reprochait en 2014 à l’Observatoire de ne pas indiquer sa méthodologie ni de donner le nom des victimes, contrairement aux autres organismes de comptage. De nombreuses fausses informations répandues par Rami Abdel Rahmane, jamais rectifiées, entachent également la crédibilité de l’OSDH.
Ainsi par exemple, à l’automne 2011, l’OSDH annonce la mort de la jeune Syrienne Zainab al-Hosni, devenue martyre de la répression avant de réapparaître. Également, en février 2014, des victimes civiles syriennes sont identifiées comme combattants islamistes tchéchènes, saoudiens et afghans.
Le financement opaque de l’OSDH
En 2013, Rami Abdel Rahmane affirma dans les colonnes du New York Times qu’il finançait son organisation grâce à « l’argent de ses deux magasins de vêtements, de petites subventions de l’Union européenne, et d’un État européen qu’il n’a pas voulu préciser ».
En 2011, l’OSDH était pourtant placé sur la liste des ONG aidées par le National Endowment for Democracy. Le NED est une fondation privée américaine, financée par le Congrès américain, dont l’objectif déclaré est le renforcement et le progrès des institutions démocratiques à travers le monde.
En 2012, Alain Chouet creusait davantage le sujet dans l’hebdomadaire Marianne. Selon cet ancien chef du service de renseignement de sécurité de la Direction générale des services extérieurs (DGSE), « l’OSDH qui fonctionne sur fonds saoudiens et qataris est en fait une émanation de l’Association des Frères Musulmans et il est dirigé par des militants islamistes dont certains ont autrefois été condamnés pour activisme violent ».
L’Occident se contente des chiffres contestables de l’OSDH
« L’intelligence de l’OSDH, conseillé par les journalistes d’Al-Jazeera, est d’avoir compris que les journalistes occidentaux avaient besoin d’annoncer des chiffres », analyse Fabrice Balanche, chercheur au Washington Institute. La chaîne de télévision qatarienne est réputée pour son militantisme islamiste. Elle s’est largement investie dans la couverture du conflit syrien contre la propagande du régime de Damas au risque elle aussi de travestir la vérité.
Les rapports de l’OSDH sont toujours au service de la propagande anti-Assad. La majorité de la presse française les estime néanmoins fiables, et se contente de préciser sobrement « selon l’OSDH » lorsqu’elle les reprend. Le journaliste du Figaro Étienne Jacob constitue une des rares exceptions, en ajoutant dans un article en 2018 que l’Observatoire est un « organisme proche de l’opposition ».
Combien de temps l’OSDH va-t-il rester la source des media pour traiter le conflit syrien ? Les chiffres qu’il propose ont le mérite d’exister. En revanche, ses biais idéologiques évidents et la récurrence de ses fausses nouvelles devraient attirer l’attention de la presse française. Les journalistes se rendent complices lorsqu’ils se contentent de citer les bilans de l’Observatoire sans les contextualiser.