Le Bitcoin touche à un pouvoir fondamental, celui de battre monnaie. Si certains États sont hostiles aux cryptos, d’autres savent tirer parti des avantages que procure cette innovation technologique.
2011, 2013, 2017, 2021 : ces quatre millésimes sont des années de bull-run pour le Bitcoin, c’est-à-dire de phase fortement haussière. Tel le taureau de Wall Street, la folie spéculative lui fait enfoncer tous les plafonds, avec une poussée de 1400 % en un an et un rendement qui ne souffre d’aucune comparaison.
Le taureau de Wall Street est situé près de la bourse de New York, aux Etats-Unis
Créé par un anonyme en 2009, le Bitcoin est à la fois un jeton numérique (une cryptomonnaie) et une base de données distribuée (une blockchain). En réalité, il existe des milliers de cryptomonnaies ou de blockchains aux caractéristiques bien différentes. C’est le cas d’Ethereum, le numéro 2 des cryptos, qui possède son propre langage de programmation et permet de créer des applications décentralisées. Pour faire simple, cette blockchain alternative cherche à fabriquer un nouvel internet et, accessoirement, un nouveau système financier.
Le droit de battre monnaie est un monopole de l’État et représente l’essence même de son pouvoir. Ce n’est pas un hasard si le faux-monnayage a longtemps été puni de mort. Les cryptomonnaies s’inspirent d’une conception libertarienne : l’idée est de s’affranchir de toute autorité centrale, qu’elle soit privée ou publique. La technologie blockchain, née avec le Bitcoin, permet justement d’émettre des transactions et des messages non-censurables.
On comprend que les États soient méfiants envers une innovation qui contredit ses pouvoirs.
En 2017, Peter Thiel, milliardaire américain et investisseur crypto, déclarait que le Bitcoin est “largement sous-estimé”. Ce patron de la tech, ancien soutien de Trump, en a une vision politique : la blockchain est, selon lui, un outil libertarien pour se protéger de la centralisation. Dans les années 90, Peter Thiel avait d’ailleurs co-fondé PayPal avec Elon Musk, lui-même proche des idées libertariennes et investisseur dans le Bitcoin.
Le Bitcoin et la technologie blockchain ne sont pas neutres politiquement.
La blockchain fonctionne grâce à différents nœuds qui se forment librement, sans intervention centrale.
Les déclarations des responsables publics et politiques sont souvent hostiles aux cryptomonnaies. Le Bitcoin est d’ailleurs associé à des activités illégales comme le trafic de drogue ou le terrorisme. Mais seuls quelques États interdisent les cryptos, comme l’Algérie ou le Vietnam. Dans les faits, cet oukaze est assez illusoire : il est quasiment impossible d’empêcher des bits informatiques de circuler sur un réseau.
En réalité, la plupart des États s’intéressent à cette innovation. Dans le jeu de la mondialisation, les cryptomonnaies sont des outils autant politiques que financiers : elles permettent de contourner des sanctions internationales, de contester la suprématie de devises comme le dollar ou de tirer parti d’avantages énergétiques.
Des États qui minent des cryptos
Dans le Venezuela socialiste, c’est-à-dire au pays de l’hyperinflation (130000 % en 2018), avoir les plus grosses réserves de pétrole au monde n’est plus suffisant. À vrai dire, les sanctions et les embargos n’arrangent pas la situation : les avoirs du gouvernement sont bloqués à l’étranger et l’accès aux devises internationales est limité. Avec un PIB en chute de 75 % sur une décennie, la situation économique est catastrophique et les Vénézuéliens manquent de tout.
L’an dernier, le président Nicolas Maduro annonçait que son pays utiliserait tous les moyens possibles pour contourner les sanctions internationales.
L’armée vénézuélienne se lança dans le minage de cryptomonnaies.
Une brigade de l’armée vénézuélienne publiait en novembre 2020 une vidéo sur l’installation d’une ferme de minage.
Qu’est-ce que le minage ? C’est une opération qui consiste à valider une transaction et à l’enregistrer dans la blockchain. Le processus met en compétition des ordinateurs du monde entier, incités par des mécanismes cryptographiques à sécuriser le réseau sans en falsifier les opérations.
Le minage de Bitcoin est récompensé en Bitcoin : il peut ensuite être vendu dans une devise officielle, telle que l’euro ou le dollar sur une place de marché.
Mais contrairement à l’euro, au dollar ou au bolivar vénézuélien, le Bitcoin est limité en quantité. Et c’est l’argument principal de ses partisans qui y voient une réserve de valeur contre la planche à billets étatique. Pour des pays en difficulté, le Bitcoin est une aubaine contre l’inflation et les sanctions internationales. La Corée du Nord serait d’ailleurs très impliquée dans le minage de cryptomonnaies, selon un rapport américain.
Le minage de cryptomonnaies implique l’utilisation d’une puissance de calcul informatique colossale
En Ukraine, le gouvernement construit une ferme minage utilisant l’excédent d’énergie nucléaire : elle pourrait être opérationnelle dès août 2022. En Biélorussie, le président Loukachenko proposait déjà en 2019 d’utiliser l’atome pour miner du Bitcoin. Le pays est connu pour être un paradis fiscal pour les professionnels cryptos. Récemment, le ministre de l’énergie Viktor Karankevich annonçait que Minsk étudiait la possibilité de miner des cryptomonnaies.
Toutefois, les principaux producteurs de Bitcoin sont en Chine, aux Etats-Unis et en Russie. Ils profitent d’une énergie peu chère.
Quand les fermes ne sont pas directement exploitées par les États, elles sont tolérées sur leur sol. Et ce n’est pas anodin, compte tenu de la consommation énergétique que représente le minage : le seul réseau Bitcoin consomme annuellement plus d’énergie qu’un pays comme l’Argentine !
Des États qui favorisent le développement des cryptos
Beaucoup d’États jugent inévitable l’avènement des cryptomonnaies et de la blockchain. En 2017, Vladimir Poutine rencontrait Vitalik Buterin, le russo-canadien fondateur d’Ethereum. La presse rapportait alors les ambitions du chef du Kremlin : “Internet appartient aux Américains. La blockchain appartiendra aux Russes”, aurait confié un ex-agent du FSB, selon le New York Times.
Du côté chinois, le président Xi Jinping déclarait en 2019 que “la blockchain est une percée technologique importante pour l’innovation” et que la Chine devait “accélérer le développement des solutions blockchains”.
Les États-Unis hébergent de leur côté de grandes plateformes dédiées aux échanges de cryptomonnaies comme Kraken, Gemini ou Coinbase. Cette dernière, fondée en 2012, devrait bientôt faire son entrée en bourse avec une valorisation à 100 milliards de dollars. Coinbase propose des fonctionnalités de trading avancées de cryptomonnaies. Sa croissance n’est pas entravée par les autorités américaines. Mais les puristes se méfient de ces géants qui concentrent beaucoup de pouvoir, car cela s’oppose de fait à la philosophie crypto.
Coinbase est une plateforme d’achat et vente de cryptomonnaies très populaire.
Les États songent eux-aussi à lancer leur propre cryptomonnaie. Ni décentralisées, ni limitées en nombre, elles seraient plutôt des monnaies numériques de banque centrale (CBDC, Central Bank Digital Currency). Mais celles-ci reprendraient des caractéristiques propres aux cryptos, comme le fait de contourner le système bancaire traditionnel.
La Réserve fédérale s’intéresse à un dollar numérique qui pourrait être testé dès l’été. Les particuliers pourraient alors échanger des “billets verts” sans passer par une banque. Cette option est envisagée dans le cadre d’un plan de relance de l’économie US.
La Banque centrale européenne n’écarte pas non plus l’idée d’un euro numérique. Son lancement prendrait environ 5 ans, selon Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE. Une décision devrait être prise à ce sujet au milieu de l’année. L’institution en voit les avantages, notamment si l’argent liquide devait disparaître.
En 2018, le Venezuela fut le premier État à lancer une monnaie numérique, le Petro. Le Time Magazine avait cru y voir la main de Moscou. La Russie utiliserait le Venezuela, un pays qui n’a plus grand chose à perdre, comme un terrain d’expérimentation en matière de cryptomonnaies.
Depuis 2014, la Chine travaille sur un yuan numérique. Il serait actuellement en phase de test dans plusieurs villes comme Shanghai ou Shenzhen. La CBDC chinoise permettrait de réaliser des transactions internationales sans passer par le système bancaire dont le dollar est la devise de référence.
Le yuan est la devise officielle chinoise. Elle est pour le moment très marginale dans les échanges mondiaux.
Ces initiatives étatiques mettent-elles en péril la décentralisation et la liberté qui sont la matrice du Bitcoin ? Les prochaines années pourraient être décisives sur ce sujet.
Néanmoins, soyons conscient d’une chose : les cryptomonnaies ne se seraient pas autant développées sans l’aide, au moins tacite, de certains États. En janvier, la capitalisation totale des cryptomonnaies dépassait le trillion de dollars !