A la demande du Kazakhstan, l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) a déployé en janvier des troupes sur son sol. Mais certains membres de l’organisation qui comprend également la Russie, le Tadjikistan, le Kirghizstan, la Biélorussie et l’Arménie, s’inquiètent d’un possible enlisement et craignent de devoir affronter une résistance armée.

Le Kaza­khs­tan, un pays clé méconnu 

Le Kaza­khs­tan est le plus grand pays d’Asie cen­trale, et il est aus­si le plus riche grâce à ses gise­ments de gaz et d’uranium. Paris s’y four­nit d’ailleurs pour ali­men­ter son parc nucléaire. Ce pays fai­sait office de vitrine pour Mos­cou via son modèle auto­ri­taire simi­laire à celui du Krem­lin. Son pos­sible chan­ge­ment de régime ris­que­rait de créer un effet domi­no en Asie cen­trale. Les Etats-Unis pour­raient se pré­ci­pi­ter dans la brèche pour conti­nuer à ins­tal­ler des bases dans la zone, comme ils l’ont déjà fait en Ouz­bé­kis­tan. Une telle situa­tion affai­bli­rait encore plus le Krem­lin, après le bas­cu­le­ment de l’Ukraine dans le camp occi­den­tal il y a 8 ans, et l’UE pour­rait conti­nuer à exploi­ter les gise­ments kaza­khs sans avoir à craindre une inter­ven­tion russe. De son côté, le régime de Nour-Soul­tan espère pou­voir sau­ver sa tête durant cette crise.

Bap­tême du feu pour l’OTSC

L’OTSC a déci­dé d’intervenir au Kaza­khs­tan à la demande ce der­nier et sous les ordres de Mos­cou. C’est la pre­mière inter­ven­tion de l’organisation ; le Krem­lin sou­hai­te­rait qu’elle soit cou­ron­née de suc­cès pour que l’OTSC devienne un acteur régio­nal impor­tant et si pos­sible un concur­rent de l’OTAN. Le seul sou­ci est que cette opé­ra­tion est menée majo­ri­tai­re­ment par des troupes russes et que ses alliés n’ont dépê­ché que des poi­gnées de soldats…

L’Arménie craint que cette inter­ven­tion mili­taire rap­pelle un peu trop celles des forces du Pacte de Var­so­vie répri­mant le Prin­temps de Prague en 1968, ou encore la répres­sion de la révo­lu­tion hon­groise de 1956 à Buda­pest. Les autres membres de l’OTSC craignent un pos­sible enli­se­ment car cer­taines uni­tés de l’armée kaza­khe ont rejoint les rebelles et pour­raient les aider à consti­tuer une résis­tance armée.

Le pou­voir kazakh fragilisé 

Le “Père” de la nation Nour­soul­tan Nazar­baiev est soup­çon­né de s’être enfui en Rus­sie. Cet homme qui fut pré­sident du pays de 1991 à 2019 avait lais­sé les rênes du pou­voir à un proche, Jomart Tokaiev, tout en gar­dant le contrôle du pays en occu­pant un poste de chef du conseil de la sécu­ri­té. Le 5 jan­vier, face au désordre du pays, il trans­fère cette fonc­tion au pré­sident Tokaeiv. Sa pos­sible fuite créée un véri­table mou­ve­ment de panique chez les élites kaza­khes, qui à leur tour se ruent sur leurs avions pri­vés pour quit­ter le pays. Elles craignent que cette inter­ven­tion n’ins­talle défi­ni­ti­ve­ment les Russes au Kaza­khs­tan et qu’ils l’administrent comme une région de leur Fédération.

Rajou­tons à ce tableau peu relui­sant pour le régime kazakh que le retour­ne­ment de cer­taines uni­tés de l’armée et de la police a été vécu comme un drame. Ces deux corps de fonc­tion­naires ont tou­jours été fidèles au pou­voir depuis les années 90, n’hésitant pas à répri­mer les oppo­sants dans le sang. Le fait qu’elles aban­donnent leurs chefs ou les cap­turent pour les remettre à la foule montre bien que leur fidé­li­té n’est plus une évidence.

Quelles sor­ties de crise possibles ?

Trois sor­ties sont envi­sa­geables dans les jours à venir. Pre­mière pos­si­bi­li­té, l’OTSC écrase la rébel­lion et le régime kazakh est réta­bli. Mos­cou sor­ti­rait ren­for­cé de cette crise et pour­rait à nou­veau don­ner prio­ri­té à l’Ukraine. Ce scé­na­rio est envi­sa­gé par des stra­tèges ukrai­niens qui le confiait à TV Svo­bo­da. Deuxième pos­si­bi­li­té, la pire pour le Krem­lin et ses alliés : les rebelles se consti­tuent en armée de libé­ra­tion et le pays plonge dans la guerre. Les troupes de l’OTSC ris­que­raient ne pas tenir face à une guerre longue. Les alliés de Mos­cou pour­raient alors choi­sir de quit­ter l’opération. Les menaces russes envers l’Ukraine seraient moins effi­caces, et les troupes russes ris­que­raient de subir de lourdes pertes face à la résis­tance kaza­khe. Cette vision pes­si­miste est por­tée par l’armée arménienne.

Der­nière pos­si­bi­li­té, les rebelles font fuir les der­niers oli­garques. Les Russes choi­si­raient alors la négo­cia­tion ; le nou­veau gou­ver­ne­ment kazakh devrait accep­ter une pré­sence russe mais pour­rait la com­plé­ter par une pré­sence amé­ri­caine ou chi­noise. Cette option existe car l’Ouzbékistan, pays voi­sin du Kaza­khs­tan, a réus­si à négo­cier un accord simi­laire avec les deux grands durant les années 2000 : Tachkent a depuis une base russe et une base amé­ri­caine sur son sol . Le modèle auto­ri­taire à la russe sor­ti­rait lar­ge­ment affai­bli de cette crise et ce sou­lè­ve­ment réus­si pour­rait encou­ra­ger les autres peuples d’Asie cen­trale à ren­ver­ser leurs gou­ver­ne­ments pro-russes. Sur le long terme, la Rus­sie pour­rait se voir obli­gée de chan­ger de poli­tique exté­rieure dans cette région.