Connue pour avoir animé Les Chemins de la philosophie sur France Culture, la journaliste à la direction de France Inter écrit aussi, et ça vaut le détour. Inconsolable, paru le 5 janvier chez Gallimard, raconte l’expérience de la perte du père. Sans lyrisme, Adèle Van Reeth partage son parcours pendant une année, au cours de laquelle un homme meurt, mais un enfant naît. Ni pessimiste ni optimiste, ce livre admet que, malgré tout, la vie continue et qu’on peut s’accommoder de la tristesse.
“C’est par le prisme de l’ordinaire que les choses m’intéressent”. Comme dans son premier roman La vie ordinaire (2020), c’est encore de cette existence quotidienne qu’il s’agit dans les lignes d’Inconsolable. Par ses réflexions d’une profonde justesse, l’auteur donne du relief à ces jours qui passent, avec et malgré la tristesse. Le travail, la famille, le chat, les visites à l’hôpital : rien de sublime, simplement l’ordinaire. “La mort d’un père est une expérience que j’ai voulu prendre au sérieux”, explique Adèle aux lecteurs dans le sous-sol de Librairie Compagnie, en face de la Sorbonne. Assise devant quelques dizaines de personnes, dans cette cave au milieu des livres, l’écrivaine, qu’on devine grande et élancée, se remet dans la peau d’une petite fille qui vient de perdre son père.
Dans Inconsolable, Adèle retrace une année de sa vie : celle de la mort de son père à la suite d’une tumeur au cerveau, et celle de la naissance de son premier enfant. De l’hiver au suivant, l’auteur aborde chaque saison comme une étape à part entière dans ce parcours de « deuil ». Pourtant, elle confie ne pas aimer ce mot, qui donne l’impression qu’il existe une méthode pour passer à autre chose. Le cycle des saisons, elle le trouve ironique : la vie humaine est loin d’être cyclique. Elle s’en sert toutefois pour structurer ses chapitres. Après un hiver rude où son père meurt en février, vient le temps du printemps et de son insolence : la nature renaît, mais quand on a perdu son père, rien ne renaît. Après un été, irrémédiablement au passé pour Adèle, la “mélancolie réconfortante de l’automne” s’installe. Cette saison qui “ressemble à une mélodie de jazz” vient tout adoucir. La consolation, s’il y en a une, a quelque chose à voir avec l’automne. Parfois, il arrive de se sentir triste sans raison, observe l’auteur. Précisément, ce chagrin qui survient parfois de manière inexplicable trouve sa justification à la mort de quelqu’un. Il devient soudain possible de donner un sens aux larmes qui coulent. Pour Adèle, c’est une façon d’apprivoiser la tristesse, et de vivre avec. Peu à peu, elle s’éloigne de notre quotidien et laisse place à la vie, qui reprend (toujours) les rênes.
“Perdre son père, ça ne sert à rien, ça n’apporte rien”
Pour Adèle Van Reeth, une chose est claire : il n’y a pas de sens à chercher dans la mort d’un père. C’est face à la gratuité inacceptable de la mort, qui n’apporte rien et retire tout, face à cette pure perte, qu’elle désire justement faire quelque chose de cette tristesse insolente. Elle envisage cette expérience comme un moyen de connaissance du réel : sa douleur ne sera pas vaine si elle lui apprend à mieux saisir la valeur de la vie. Adèle partage les pensées qui lui viennent face à l’inconcevable : est-il même possible d’imaginer la mort ? Notre cerveau en est-il capable ? La mort d’un père a ceci de particulier qu’elle entraîne la disparition radicale d’un type de regard : celui d’un père posé sur sa fille. « Plus personne ne me regardera jamais de cette façon » réalise ‑t-elle. La mort d’un père vide aussi de son sens le mot “papa”, qui ne pourra plus jamais être prononcé. C’est aussi une place qui se libère : quand on n’a plus de père, que faire de cet espace vide, à jamais inoccupé ? Et comment faire, comment se tenir quand on est une fille orpheline de père en même temps qu’une maman ? “Je deviens une mauvaise mère” s’inquiète-t-elle dans son livre. L’auteur fait part de ses réflexions, à la fois personnelles et en même temps remarquablement percutantes pour ceux qui partagent son expérience. Dans la librairie, quand vient le temps de la discussion, certaines personnes la remercient pour la justesse de ses mots et son émouvante simplicité.
“Regarder la mort en face, n’est-ce pas constater notre condition d’êtres résolument inconsolables ?”
L’auteur savait qu’elle perdrait son père, allité depuis deux ans, mais ça n’est pas pour ça qu’elle pouvait s’y préparer. “Toute préparation à la mort est illusoire”. Une fois la personne retirée à jamais du monde, celui-ci pourtant ne change pas autour de nous. La vie continue sans l’être cher, comme si de rien n’était. Comment ne pas avoir peur de l’oubli ? “Comme si le monde digérait la mort”. Le monde reste le même, et pourtant il est radicalement différent. Contre les injonctions à la consolation, Adèle écrit qu”’il existe un temps, trop tôt, où on ne souhaite pas être consolé, car être consolé, ça serait comme oublier”. En effet, il y a une période où la tristesse est le seul lien que l’on entretient avec la personne décédée, et où nos larmes sont la preuve matérielle de son existence passée . On ne cherche pas tout de suite à se détacher de la tristesse. Les souvenirs ne sont pas immédiatement réconfortants : justement, dit-elle, si tout ce qu’il reste du défunt ne sont que des souvenirs, ils ne font que rappeler la violence de son absence. L’auteur souhaite en finir avec les discours trop souvent donnés, même sans mauvaise intention, qui laissent à penser qu’il existe une solution, presque une recette à suivre, pour s’en remettre complètement.
“La mort apparaît comme une extinction radicale quand on ne croit à aucune transcendance”
Il existe des consolations, du réconfort (et heureusement ! sourie-t-elle) mais la consolation absolue est illusoire. Pourtant, c’est ce caractère inconsolable de la vie qui lui donne un goût particulier, estime-t-elle, car il agit comme un moteur qui nous anime. Un livre sans lyrisme, qui transmet avec simplicité et profondeur une expérience vécue personnellement, mais qui entre en résonance avec l’universelle crainte de la mort.
“Et, dans mille ans, les hommes gémiront de la même façon : “Ah, que la vie est dure” et, en même temps, exactement comme aujourd’hui, ils auront peur de la mort et ils ne voudront pas mourir.” Anton Tchekov, Les Trois Soeurs, prologue de Inconsolable.