Au terme d’une semaine chargée avec les nouvelles peu engageantes de Pierre Arditi, l’annonce de fin de carrière de Pierre Perret et les quatre-vingts ans de Catherine Deneuve, un constat s’impose : les plus grands ne sont pas éternels. La France peut-elle pour autant compter sur sa jeune génération pour prendre la relève ? Coup de projecteur et état des lieux de la scène culturelle du pays.

Qu’il s’agisse de la troupe du Splen­did, des anciens du théâtre de Bou­vard, des indé­mo­dables « Stars 80 » ou de nos actuelles poules aux œufs d’or ciné­ma­to­gra­phiques et théâ­trales, beau­coup ont de quoi nous envier. L’exception cultu­relle fran­çaise n’est plus à van­ter et rayonne par­tout dans le monde. Sur les planches des théâtres, des salles de concerts ou au ciné­ma, moult « per­son­na­li­tés pré­fé­rées des Fran­çais » se sont suc­cé­dé avec brio. Pour­tant, les récents évé­ne­ments ont de quoi nous inquié­ter quant à la péren­ni­té de leur espèce. Des regret­tables acci­dent de san­té au « bud­get bou­gies » vic­time d’une infla­tion galo­pante, nom­breuses sont les occa­sions de nous rap­pe­ler que l’heure de la cloche du der­nier tour approche pour nos pré­cieux pou­lains – sans par­ler des sor­ties de route telles que la sor­dide affaire Pal­made, autre exemple de bais­ser de rideau anticipé.

Mort à petit feu des cygnes du ballet

Enten­dons-nous, il ne s’agit nul­le­ment de mener pré­ma­tu­ré­ment au tom­beau tous ces monstres sacrés du people gau­lois. Néan­moins, même les minois les plus botoxés ne sau­raient pas­ser sous silence ce que pointe leurs fiches Wiki­pé­dia : nos cham­pions ont pris de l’âge et la retraite s’annonce pour bien­tôt ! On se sou­vient, par exemple, de ce « César anni­ver­saire » en 2021 où Chris­tian Cla­vier, Josiane Balas­ko, Thier­ry Lher­mitte et consorts nous ont émus en évo­quant « 50 ans de cas contacts » ou la qua­ran­taine tapée de la veste du der­nier. Tous convien­dront de la car­rière immense de ces indi­vi­dus et de ce que leur doivent les annales ciné­mo-théâ­trales… sans oublier de noter que le tout res­sem­blait fran­che­ment à un pot de départ de 19h pour le der­nier jour des grands patrons. Il faut dire que cette joyeuse bande a pas­sé les soixante-dix ans et que leurs petits cama­rades appa­rus à Antenne 2 cara­colent à leur tour vers ce pas­sage obli­gé. Pas de panique, nous répon­dra-t-on, il nous reste bien la géné­ra­tion des Dany Boon et des Lel­louche. Certes, certes. La bonne cin­quan­taine fait tou­te­fois gri­son­ner leurs tempes dégar­nies et ce n’est pas notre grand-mère déjan­tée pré­fé­rée* qui ira nous contre­dire du fond de sa véran­da AKENA. N’en déplaise à Natha­lie Saint-Cricq pour qui Ardi­ti « est juste infer­nal parce qu’il est condam­né à res­ter enfer­mé » mais nos pépites ont plu­tôt pour nou­velle voca­tion la pétanque et les croi­sières que le feu vif des projecteurs.

Des garde-fous plus ou moins solides pour pal­lier le manque

Comme dans le tour de France, rien ne sert de res­ter concen­tré sur l’échappée tout du long ; il faut aus­si suivre les pour­sui­vants et le pelo­ton, quand bien même celui-ci sem­ble­rait lar­gué. Après tout, une sur­prise n’est jamais exclue. Côté comé­die, cer­tains sont bien ins­tal­lés désor­mais par­mi le tout-Hol­ly­wood. D’Omar Sy à Camille Cot­tin, en pas­sant par Eva Green ou Jean Dujar­din, on ne compte plus leurs mul­tiples pres­ta­tions de qua­li­té, pri­mées maintes et maintes fois. Der­rière eux, les tren­te­naires dont Pierre Niney ou Léa Sey­doux, font aus­si fureur et consti­tuent un bon vivier qui se paie le luxe de jouer dans la cour des grands à l’international. Au-delà de cette élite, cer­tains percent aujourd’hui via un outil capri­cieux de notre temps : le buzz ! Que l’on aime ou pas la qua­li­té des sons en ques­tion, on retrouve ain­si Wej­dene ou Aya Naka­mu­ra en soi­rées par­tout sur la pla­nète. À une échelle réduite, bar­rière de la langue oblige, il en va de même pour l’humour, d’Inès Reg à Camille Lel­louche. Des car­rières décollent d’un coup d’un seul et la France conti­nue d’exister artis­ti­que­ment. Seule­ment voi­là, ces talents sau­ront-ils durer ou ne sont-ils que des sug­ges­tions du moment qui devront bien­tôt céder la place à une pro­po­si­tion plus fraîche encore ?

La bleu­saille un peu – voire fran­che­ment – à la traîne

Côté jeune géné­ra­tion, c’est un peu là que le bât blesse. Nom­breuses sont les ten­ta­tives d’entrer dans le métier, avec plus ou moins de réus­site. Un vivier des plus éphé­mères est par exemple le stand-up. Comme le confiait Muriel Robin au Point en 2019 : «Il y a de la place pour tout le monde, du cham­pagne, du mous­seux, de la piquette… » Côté consom­ma­teur, pas sûr qu’il y ait beau­coup de grands crus dans les nou­veaux mil­lé­simes et la situa­tion ne va pas aller en s’améliorant. Les milieux artis­tiques souffrent depuis le Covid-19 ; le spec­tacle vivant plus encore puisqu’il était de loin le plus tou­ché en 2020 selon les chiffres du gou­ver­ne­ment. Les for­ma­tions de qua­li­té existent mais font l’objet de concours d’entrée dignes des Hun­ger Games. L’incessant par­cours du com­bat­tant des audi­tions en épuise plus d’un et c’est sans comp­ter les réformes récur­rentes du régime d’indemnisation des inter­mit­tents du spec­tacle, tou­jours pré­caire. Dur enfin de se faire une place par­mi les fines plumes à l’ancienne quand on a eu le bac au rabais après quinze ans de cajo­le­ries ortho­gra­phiques et de bibe­ron­nage cultu­rel aux don­nées d’X ou de Meta. Pas dit donc que de nou­veaux ténors du genre appa­raissent de si tôt.

De l’explication du déclin

Nous évo­quions à l’ins­tant l’éducation. Évo­quons donc son rôle tant dans la fabrique d’un art qua­li­ta­tif que dans la capa­ci­té du public à le rece­voir. ON convien­dra aisé­ment que pas­ser sa vie à don­ner du Nutel­la comme récom­pense à ses enfants ne leur apprend pas à aimer le caviar. De plus, la ten­dance contem­po­raine à valo­ri­ser le sens au détri­ment de l’esthétisme par­ti­cipe de l’anéantissement du poten­tiel des pro­duc­tions à entrer au Pan­théon des chefs‑d’œuvres. Der­nier coup de mas­sue, la socié­té de consom­ma­tion – tou­jours elle ! – qui fonc­tionne au clic, au consen­suel et au plus rapide, achève de nous enfer­mer dans ce tour­billon du rea­dy made, loin des stan­dards de l’ancien temps. Alors quoi… on baisse les bras ?

Les clefs du com­bat pour l’avenir

Face à ce constat sinistre, hors de ques­tion de rendre les armes dans la lutte pour l’excellence de la nation ! Il s’a­git de poser les bons mots sur ce qui fâche et de tirer les conclu­sions de l’abaissement géné­ral du niveau artis­tique dans nos rangs. Sou­te­nons ceux qui s’engagent pour une édu­ca­tion de qua­li­té et le retour des fon­da­men­taux de fran­çais, d’histoire et de culture géné­rale. Un trou­peau d’ânes ignares ne sau­rait nous pondre du Devos et loin de nous l’outrecuidance d’en exi­ger autant. Assu­rons-nous donc de leur don­ner les bases dont ils auront besoin. Osons pro­mou­voir la culture et encou­ra­ger les ini­tia­tives en faveur de son acces­sion. Que nos mains ne tremblent pas non plus à l’heure de pour­fendre l’idéologie, l’imposition des quo­tas, de la ren­ta­bi­li­té et de tous les desi­de­ra­ta res­pon­sables de l’asphyxie créa­trice. Osons le beau, le vrai et le pro­fond, quitte à sti­mu­ler un peu for­te­ment le cor­tex pré­fron­tal de nos chères têtes blondes. Le cor­set des contraintes doit être des­ser­ré pour les lais­ser un peu res­pi­rer. Trans­met­tons enfin à nos jeunes ce que nos plus belles pépites ont encore à leur pro­po­ser. Bien­tôt, le glas son­ne­ra et leurs œuvres ne seront guère plus vision­nées que ne seront visi­tées leurs der­nières demeures. Les cartes sont dans nos mains pour que conti­nue le beau roman et la belle his­toire de la créa­tion fran­çaise. À nous de jouer !

Coren­tin Rahier

* Chan­tal Lade­sou pour les moins réactifs