Sorti dans les cinémas français le 15 novembre 2023, le film d’Alejandro Monteverde est au cœur d’une gigantesque controverse héritée de sa diffusion mouvementée aux États-Unis à l’été 2022. Zoom sur un film marqué de nombreux anathèmes.

Le réa­li­sa­teur croyait que son œuvre ne sor­ti­rait jamais. Tour­née en 2018, sa pro­duc­tion était ini­tia­le­ment por­tée par Fox Inter­na­tio­nal, filiale du géant 20th Cen­tu­ry Fox. Ce der­nier ayant été rache­té en mars 2019 par la firme Dis­ney, le film subit la situa­tion et se retrouve dans un tiroir. Fina­le­ment exhu­mé et acquis par la socié­té indé­pen­dante de dis­tri­bu­tion Angel Stu­dios, il se fraye un che­min sur le grand écran le 4 juillet 2023 aux États-Unis. C’est alors que tout bas­cule et que son pro­cès média­tique com­mence selon plu­sieurs chefs d’ac­cu­sa­tion. D’un côté, l’é­quipe du film est visée pour ses convic­tions. De Mon­te­verde, réa­li­sa­teur catho­lique reven­di­qué, à l’ul­tra­con­ser­va­teur pro­duc­teur Mel Gib­son en pas­sant par la socié­té de dis­tri­bu­tion elle-même, fon­dée par quatre frères mor­mons, les par­ties pre­nantes dérangent par leurs idées… et c’est sans par­ler des acteurs ! Jim Cavie­zel, catho­lique conser­va­teur connu pour son incar­na­tion du Christ au ciné­ma, campe le rôle prin­ci­pal au côté du très sul­fu­reux mexi­cain Eduar­do Verás­te­gui. Celui-ci, co-pro­duc­teur du film via sa socié­té Meta­noia, n’est rien de moins que le can­di­dat indé­pen­dant conser­va­teur aux éléc­tions pré­si­den­tielles mexi­caines de 2024. Le fait indique la dimen­sion poli­tique de la contro­verse qui se trouve encore ren­for­cée par les sou­tiens d’E­lon Musk et Donald Trump à l’œuvre. Déjà lar­ge­ment crti­ti­qués, les indi­vi­dus en ques­tion et leurs idées ne sont pour­tant pas le cœur de la débâcle.

Timothy Ballard, un héros qui dérange

En effet, le récit de 2h11 por­té à l’é­cran tourne autour de l’his­toire vraie de Timo­thy Bal­lard et c’est lui qui est la clef de lec­ture des ten­sions. Mor­mon amé­ri­cain et père de neuf enfants ayant tra­vaillé pour le gou­ver­ne­ment, il a par­ti­ci­pé à déman­te­ler des réseaux cri­mi­nels de pédo­pros­ti­tu­tion. Afin de lut­ter contre le tra­fic d’en­fants, il a conçu son ONG ”OUR” il y a dix ans mais celle-ci est vive­ment cri­ti­quée sur ses méthodes et son finan­ce­ment, attri­bué pour par­tie aux réseaux com­plo­tistes amé­ri­cains QAnon. Ces cou­rants conspi­ra­tion­nistes sou­tiennent qu’une guerre cachée a lieu entre Donald Trump et le Deep State amé­ri­cain et leur sou­tien mas­sif au film, dou­blé du lien avec cer­taines per­son­na­li­tés polé­miques, fait l’ob­jet d’at­taques inces­santes dans la presse. La situa­tion fran­çaise, avec quelques mois d’i­ner­tie, est cal­quée sur l’é­pi­sode esti­val nord-amé­ri­cain. Les dis­cours visent majo­ri­tai­re­ment à décré­di­bi­li­ser le long-métrage et les salles sont fri­leuses pour le pro­gram­mer — situa­tion qui n’est pas sans rap­pe­ler le cas “Vaincre ou mou­rir” à l’hi­ver dernier.

Au-delà des critiques, l’occasion d’une prise de recul

Si la récep­tion du film par la cri­tique fran­çaise est moyenne voire mau­vaise, le public a ten­dance en revanche à le plé­bis­ci­ter et les bons scores de la pre­mière semaine pour­raient ame­ner plu­sieurs ciné­mas à le mettre à l’af­fiche. Cette dis­cor­dance entre élites média­tiques et opi­nion popu­laire res­semble à s’y méprendre à la situa­tion état­su­nienne de l’é­té et doit nous inter­ro­ger car elle est un constat trans­ver­sal dans nos socié­tés contem­po­raines. Ce n’est pas tant le conte­nu qui est atta­qué — France Info véri­fie d’ailleurs les faits dans un décryp­tage fin et sour­cé — que l’eau qu’il apporte à des mou­lins qui dérangent. La ques­tion est de savoir qui est en réa­li­té offus­qué de la mon­tée en puis­sance du conser­va­tisme et de ses dis­cours, dans cette affaire comme dans d’autres. Se pour­rait-il que le dan­ger ne se trouve pas sous le feu des pro­jec­teurs bra­qués à outrance mais qu’une mani­pu­la­tion des consciences plus ou moins savam­ment orches­trée ait court ? Quelle est la part des lob­bies dans le trai­te­ment média­tique d’un objet fina­le­ment plu­tôt neutre ? Le meilleur choix pour l’in­di­vi­du lamb­da reste encore de se for­ger sa propre opi­nion en écou­tant tous les avis et en allant juger par soi-même du pro­duit. C’est le spec­ta­teur qui reste in fine déci­deur car il est un nerf de la guerre sur lequel tous s’ac­cordent : ce sont les recettes qui enre­gis­trées qui diront si l’o­pé­ra­tion est, ou non, un franc succès.

Coren­tin Rahier