Le baccalauréat qui était déjà en pleine refonte a subi de nombreuses réformes d’urgence à la suite de la pandémie. Désormais le fameux diplôme s’obtient presque exclusivement en contrôle continu et un grand oral final vient le parachever en fin d’année. Les consignes de notation de cet ultime examen ont suscité de vives réactions après avoir été distribuées aux enseignants.

C’est sur le compte Twit­ter d’un pro­fes­seur de phi­lo­so­phie que le scan­dale éclate : la grille d’évaluation du grand oral est révé­lée au public. On peut y lire que le minis­tère de l’É­du­ca­tion natio­nale demande de noter des aspects qui se rap­portent à la per­sonne et non plus au tra­vail four­ni. L’élève se voit ain­si jugé sur sa voix « per­çante », « criarde » ou encore « nasillarde » ain­si que sur sa « tenue ves­ti­men­taire » et son « déhanchement ».

L’Éducation nationale en tort

Pour le pro­fes­seur de phi­lo­so­phie, la situa­tion est très grave car il s’a­git de dis­cri­mi­na­tion. Selon lui, l’Éducation natio­nale n’a pas à deman­der aux ensei­gnants d’é­va­luer sur ce type de cri­tères. Le tol­lé sus­ci­té par cette injonc­tion va fina­le­ment abou­tir à une refonte de la grille d’évaluation dis­cri­mi­na­toire du grand oral. Le tout sera accom­pa­gné d’une réécri­ture des archives par le minis­tère de l’Éducation natio­nale pour évi­ter de lais­ser des traces gênantes. Aujourd’hui on dis­tri­bue aux pro­fes­seurs un tout autre fichier beau­coup plus succinct.

Le grand oral deviendrait discriminant

La grille polé­mique a donc été relé­guée au rang de docu­ment de for­ma­tion et non plus de fiche d’évaluation avant d’être défi­ni­ti­ve­ment sup­pri­mée car la dis­cri­mi­na­tion y était trop fla­grante. C’est fina­le­ment la grille qué­bé­coise qui vient rem­pla­cer le docu­ment en tant que « res­source pro­po­sée », ce qui signi­fie qu’elle ne consti­tue­ra pas une grille d’évaluation mais un docu­ment sup­port. On remarque tou­te­fois qu’on peut encore y trou­ver des pro­po­si­tions de nota­tion sur des aspects qui n’ont rien à voir avec un quel­conque tra­vail d’étudiant.

 

À moins de croire que les for­ma­tions déjà effec­tuées par l’Éducation natio­nale n’auront aucun impact sur les nota­tions des pro­fes­seurs, il est légi­time de pen­ser que les élèves vont pro­ba­ble­ment subir des dis­cri­mi­na­tions lors du grand oral. Le doute est lar­ge­ment ren­for­cé lorsqu’on lit le docu­ment sup­port qué­bé­cois. Mal­heu­reu­se­ment le mal est fait, car c’est bien avec ce sup­port que l’Éducation natio­nale a déjà for­mé un grand nombre de ses enseignants.

Sur Twit­ter, les réac­tions du pro­fes­seur de phi­lo­so­phie pointent du doigt l’as­pect dis­cri­mi­na­toire des consignes d’évaluation :

« Toutes ces petites hor­reurs sont dans la plus stricte conti­nui­té de la trans­for­ma­tion pro­gres­sive des écoles en suc­cur­sales de recru­te­ment pour les entre­prises qui est à l’œuvre depuis des années — mais depuis J‑M Blan­quer, avec une accé­lé­ra­tion affolante . »

« Qu’un élève soit ave­nant, sym­pa­thique, sou­riant, ait de l’humour, on est tous capables d’apprécier cela. […] Mais en faire des com­pé­tences exi­gibles et éva­luables, est-ce le rôle de l’école ? »

« Le simple fait qu’on demande à des ensei­gnants d’inspecter si les élèves sou­rient assez, ne se déhanchent pas, sont assez propres, ne portent pas d’habits courts ou trop mou­lants, parlent sans accent ou ont de l’humour, me paraît sin­cè­re­ment effrayant. »

« Dans un  État nor­mal, cela devrait suf­fire à sou­le­ver des pro­tes­ta­tions considérables »

« Ce sont des items trans­mis par l’Éducation natio­nale. Beau­coup d’élèves seront donc jugés sur cette base »

 

La pan­dé­mie avait déjà cau­sé de nom­breux torts aux élèves en don­nant le bac­ca­lau­réat sur seul contrôle conti­nu. Il reste désor­mais à attendre le fameux grand oral, sup­po­sé rééqui­li­brer les chances. Mais avec de pareilles consignes, il pour­rait bien aug­men­ter encore le fos­sé entre les « bons » élèves (cer­ti­fiés conformes) et les autres.